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Château d’Aqueria, un tavel d’exception

Les temps sont à la consommation d’un rosé anémique exhibant une couleur pâlichonne d’un rose délavé mais aux qualités pauvrement désaltérantes, à défaut de délivrer matière et complexité. À rebours de cette fâcheuse inclination pour les rosés produits sur une échelle industrielle, il se trouve encore des appellations pour défendre une ligne, que d’aucuns qualifieraient de « traditionnaliste ». Le tavel du château d’Aqueria compte parmi ces vins à contre-courant des modes qui perpétuent avec constance une idée noble du rosé.

Son grand succès à l’exportation sur le marché américain qui a hissé ce tavel au statut de « must » outre-Atlantique, trouve aussi son écho sur le marché national auprès d’une clientèle avisée, en recherche de rosés haute-couture, capables de satisfaire de fortes exigences organoleptiques. Une brillante illustration s’il en est, de la nécessité pour le vigneron de ne pas céder aux modes et aux ukazes du consommateur, mais plutôt de rester fidèle aux bonnes traditions.

N’en déplaise aux marketeux ,  un vin de caractère  se façonne par les choix du vigneron placés sous  l’influence du terroir  et non pas  en fonction des  tocades   du consommateur, au risque de retrouver des vins procédant de recettes œnologiques…

Le marché historique des États-Unis

Si le tavel du château d’Aqueria fait aujourd’hui l’objet d’un véritable culte chez les connaisseurs de vins, cela résulte en grande partie de ses attaches avec le marché américain qui l’a consacré comme un rosé de référence.

Les origines de cette percée sur le marché américain remontent au patriarche Jean Olivier dont le nom est toujours mentionné sur le bas de l’étiquette. Après l’abrogation de la prohibition en 1933, il parvient à populariser le tavel dans le nord-ouest des Etats-Unis, qui voue encore aujourd’hui une véritable vénération pour ce rosé écoulé sur des quantités considérables. À noter que si la renommée de ce tavel éclipse de sa superbe le reste de la gamme, il serait dommage d’oublier les autres vins du château en Lirac, notamment le blanc, d’une succulence rare pour l’appellation…

Rosé de saignée

Ce qui différencie le tavel des autres rosés, repose essentiellement sur la pratique de la saignée, responsable d’une teinte plus marquée mais surtout d’une extraction de composants aromatiques et phénoliques accrue, en comparaison des rosés de Provence.

La technique de la saignée consiste à vinifier les jus avec leurs peaux, mais ensuite de soutirer la cuve au moment de l’obtention de la couleur désirée, elle permet de fait, de séparer les jus destinés aux vins rosés de ceux qui vont continuer leur macération et seront voués à devenir des vins rouges. Cette opération peut s’avérer utile pour renforcer la concentration des vins rouges mais malheureusement, elle   a souvent été dévoyée à dessein de lisser les effets de hauts rendements (notamment dans le beaujolais…)

Un rosé de matière et de gastronomie

L’autre particularité du tavel tient aussi au fait d’intégrer un assemblage très hétéroclite de cépages, blancs comme noirs, à l’instar du bourboulenc et de la clairette pour les blancs et le grenache, la syrah et le cinsault pour les rouges.

Il en découle une complexité hors norme, en dépit d’une quantité notable produite (près de 300 000 cols dont une forte majorité est exportée) pour ce tavel de haut rang aux rendements toutefois contenus, et qui s’est installé au sommet de l’élite de l’appellation, au même titre que ceux d’Eric Pfifferling ou du Prieuré de Montézargue.

D’emblée, la robe lumineuse à la flamboyante couleur rouge cynorhodon* de ce tavel subjugue, les notes d’orange sanguine et de grenade apportent une véritable sensation fruitée qui canalisent son alcool généreux. Le vin se montre très structuré, solide, mais aucunement lourd et alcooleux car la richesse est tempérée par une fraîcheur interne de bon aloi et le charme s’opère par l’entremise de ses pénétrants arômes de fruits rouges, le tout sur une confortable longueur en bouche.

Bien évidemment, ce rosé foncièrement atypique, gagne à se démarquer par des accords de choix alors que la plupart des rosés ne sont bons qu’à escorter dans l’anonymat le plus complet les grillades estivales charbonnées.

Alors privilégiez de jolis produits eux aussi atypiques, comme la ventrêche de thon rouge   préparée en marinade à la sauce soja sucrée et paprika fumé, juste saisie à la plancha et   accompagnée d’un confit de tomates du jardin légèrement caramélisées, ces deux-là se révèleront avec sensation sur ce grand rosé. Le persillé de la ventrêche trouvera ainsi la nervosité du tavel, tandis que le registre de la tomate confite ne déparera pas face à sa luxuriance.

Le rosé figure à raison parmi les vins les plus décriés par les critiques et les amateurs qui pointent en lui un vin techno, indigent dépourvu d’agrément, juste bon à accueillir quelques glaçons, et force est de constater que la grande majorité partage ce triste sort.

Ce n’est pas une raison pour se détourner complètement de cette catégorie de vins qui recèle de brillants contre exemples, leur rareté et leur originalité récompensent à coup sûr l’amateur en quête d’art de vivre !

Raphno

Tavel, château d’Aqueria en vente entre 13 et 15 euros selon les cavistes ou les sites spécialisés.

*Cynorhodon : faux fruit de l’églantier, communément appelé « gratte- cul ».

Crédit photos : Kmaschke /Wikimedia (cc) et domaine d’Aqueria
[cc]Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Château d’Aqueria, un tavel d’exception”

  1. Mille fois d’accord. La tendance dark rosé est de plus en plus forte pour toutes les raisons que vous évoquez. Dans la même région, on trouve des merveilles à Châteauneuf-du-Pape chez Stéphane Usseglio ou chez Marcel Richaud à Cairanne. Sans oublier, dans la même appellation, les rosés de La Mordorée ou ceux du négociant Dauvergne & Ranvier. Et jusqu’en Suisse chez madame Chappaz ou en Italie chez Elisabetta Foradori.
    Merci pour votre rubrique sur ce site.

  2. Giornale Enzo dit :

    Bonjour,
    l’article ci-dessus est étonnant en ce qu’il ne mentionne pas la propriété la plus prestigieuse en matière de Tavel : La Mordorée…
    Bien cordialement.

  3. Gaï de Ropraz dit :

    En plus d’écrire des Thrillers, je suis négociant à l’export en Vins et Spiriteux. De ce fait, rien ne me fait plus plaisir que de lire un article vinicole. Bravo à Breizh-Info ! J’ajoute que je suis d’accord avec les généralités présentées par l’auteur. Bien entendu il y a toujours à redire, et des etiquettes à rajouter. Mais il faut accepter que le Rosé est souvent un vin “Difficile”, qui n’acquiert pas toujours, et spontanement, une notoriété, et ne dispose pas d’une demande commerciale, surtout à l’export, aussi noble et forte que le Rouge ou le Blanc. Et de grâce : NON ! Jamais de glacons dans un verre de Vin, meme rosé ! C’est un crime puisqu’on tue sur place, et illico, plusieurs années d’un travail persévérant et assidu.

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