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Le Canard enchaîné : un Corse balance…

Le monde de la presse a toujours été marqué par quelques « singularités » ; combines, arrangements, copineries… sont fréquents, surtout lorsqu’on a affaire à un journal comme Le Canard enchaîné qui fonctionne « à l’ancienne ». C’est ce qu’aurait dû comprendre Christophe Nobili lorsqu’il a commencé à travailler pour le journal en 1997. D’autant plus que l’hebdomadaire est dirigé par une bande de copains propriétaires de la maison – ils sont actionnaires majoritaires : Michel Gaillard, président, Nicolas Brimo, directeur et administrateur délégué, Erik Emptaz, rédacteur en chef, et Jean-François Julliard, également rédacteur en chef. Des vieux de la vieille habitués à fonctionner sans avoir de comptes à rendre à quiconque, mais à bouffer, à picoler et à rigoler. Pour un localier de La Provence, intégrer la rédaction du Canard c’était le grand rêve, surtout lorsqu’on se fait une grande idée de la maison et qu‘on est un journaliste « de gauche» bien décidé à « laver plus blanc ».

Jusqu’au jour où Christophe Nobili découvre le pot aux roses. En 2017, il avait révélé l’affaire Fillon. En mars 2022, il écrit au procureur de Paris pour lui expliquer qu’il existe une « Pénélope au Canard enchaîné ». « Notre Pénélope à nous s’appelle Edith Vandendaele. Elle a 74 ans. Elle est la compagne d’André Escaro, âgé de 93 piges, mais toujours membre du conseil d’administration du Canard. Tous deux coulent une paisible retraite dans leur propriété de la Drôme provençale, à Nyons, à 670 kilomètres de Paris. André, bien qu’il continue à fournir de petits dessins pour la page 2 du Canard, appelés « cabochons », n’a plus mis les pieds dans nos locaux depuis 1996, année de sa retraite. Edith, elle, n’a jamais posé un escarpin au journal. Sa seule activité connue consiste, chaque lundi, au moment du bouclage, à envoyer depuis la Drôme les « cabochons » de son compagnon. Mais, bizarrement, elle a bénéficié d’un traitement exceptionnel, et bien caché, de la part de notre généreuse maison.

Pendant vingt-cinq ans, de 1996 à 2020, Edith a été rémunéré par notre journal. Elle a même été déclarée comme « journaliste », titulaire d’une carte de presse au nom du Canard enchaîné ! Les premières années, comme « secrétaire de rédaction ». Puis, à partir de 1999, comme « rédactrice ». Tout cela en accomplissant la prouesse de ne jamais avoir été aperçue dans nos bureaux. De ne jamais avoir signé le moindre article dans nos pages. De ne jamais avoir écrit la moindre ligne. Et, bien évidemment, de n’avoir jamais dessiné quoi que ce soit. Bref, de n’avoir jamais travaillé pour notre Canard.

La bonne soupe du Canard enchaîné

Edith a pourtant été chaudement récompensée pour cette oisiveté. Elle a émargé, au fil du temps, entre 4 000 et 6 000 euros par mois… A titre d’exemple, elle a touché 53 916 euros en 2002, 54 631 euros en 2003, 55 601 euros en 2004, 57 020 en 2005, 58 477 euros en 2006 et 60 276 euros en 2007. Autre période : le journal lui a versé 66 643 euros en 2012, 67 893 euros en 2014, 68 548 euros en 2015, 69 806 en 2016, etc. Elle a terminé sa « grande » carrière à plus de 70 000 euros par an. »

Non seulement Edith Vandendaele était augmentée chaque années, mais encore elle touchait des primes de fin d’année. « L’histoire ne s’arrête pas là. Au début de l’année 2020, la besogneuse Edith a été mise à la retraite, amplement méritée, par Le Canard. Elle s’est alors embourbée une copieuse prime de départ, en plus de ses salaires, portant les émoluments de sa cuvée 2019 à plus de 120 000 euros ! Le bilan des courses ? En vingt-cinq années d’absence, notre Pénélope de la Drôme a reçu de la part du Canard, la bagatelle de 1,5 millions d’euros et des poussières. Ce qui a coûté, avec les charges et le reste, près de 3 millions d’euros à l’entreprise (…) La suite n’est qu’un conte de fées. Aujourd’hui la Drômoise Edith perçoit une retraite de base de 4 080 euros par mois. Auxquels s’ajoute, tenez-vous bien, la retraite chapeau du Canard (…) Entre 1981 et 1996, alors qu’Escaro était encore salarié du journal et qu’il le gérait en tant qu’administrateur délégué, sa Edith était déjà déclarée, à la commission de la carte de presse, comme journaliste du Canard, avec un salaire fixe équivalent à 3 000 euros par mois. Elle aurait donc, en réalité, non pas vingt-cinq ans de services imaginaires au palmipède, mais près de quarante ans. » Ce courrier adressé au procureur résume l’affaire. Notons que le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour « abus de biens sociaux et recel ».

Bien entendu, les confrères de Nobili ont été plutôt discrets : un article modeste (une colonne) dans Le Figaro Magazine (10 mars 2023), un article prudent dans Le Monde (samedi 11 mars 2023) et rien dans Libération. Seule Sonia Devillers à France Inter a donné à Nobili l’occasion de s’exprimer – sans citer les noms des personnes concernées. Inutile de poser la question à propos d’Ouest-France, du Télégramme ou de Presse Océan… Pourtant le livre qu’a pondu Christophe Nobili  « Cher Canard. De l’affaire Fillon à celle du Canard enchaîné » (Jean-Claude Lattès, mars 2023) devrait passionner les journalistes. On y raconte ainsi comment a démarré l’affaire Fillon et le cheminement de l’enquête. Pas d’« officine » mais des recherches et l’aide d’un informateur – baptisé « Watergate » – avec lequel Nobili avait travaillé dans le passé. De nombreuses informations concernant le fonctionnement du journal, le contrôle du capital et la transmission des actions suivent. Les rites de la maison (restaurant et bistro) sont également décrits.

Le Corse Nobili a raison d’aborder la question des ventes, point fondamental de tout organe de presse. « Alors qu’en 2017, grâce au feuilleton Fillon, nous avions fait un bond de 12 % en portant les ventes, soyons précis, à 399 457 exemplaires en moyenne par semaine, la suite a été beaucoup moins rose. Nous avons plongé chaque année jusqu’à passer sous la barre symbolique des 300 000 journaux écoulés (281 747 en 2021). Mais en pleine dégringolade des scoops et des lecteurs, au lieu de remettre de la joie, de la bonne humeur et du charbon dans la chaudière, au lieu d’investir et d’embaucher, le dirlo vissait les boulons, serrait les ceintures et aboyait. Tout faux. »

L’article que Morvan Lebesque aurait écrit …

Bref, les patrons du Canard enchaîné dénoncent chez les autres ce qu’ils pratiquent chez eux. « On ne peut pas donner des leçons à la terre entière et faire le contraire. Etre cohérent et un peu journaliste, tout simplement », souligne Nobili. Les deux rédac’chef, Erik Emptaz et Jean-François Julliard, ont bien essayé de répondre au livre avec un grand article de cinq colonnes « Un ami qui nous veut du bien » (Le Canard enchaîné, 15 mars 2023). Essentiellement du bla-bla qui permet d’éviter de répondre à la seule question qui vaille : ce que raconte Nobili est-il exact ou faux ? La fameuse Edith occupait-elle un emploi fictif ? Qu’est-ce qui lie Escaro au tandem Gaillard-Brimo pour qu’une pareille combine dure aussi longtemps ?

Dommage que Morvan Lebesque ne soit plus parmi nous car il aurait certainement mis les pieds dans le plat. En dix-huit ans, il a écrit 859 chroniques dans Le Canard enchaîné et deviendra, selon Ronan Leprohon, « une référence morale de la gauche française ». Dans son livre « Morvan Lebesque – Le masque et la plume d’un intellectuel en quête de Bretagne » (Coop Breizh, 2007), Erwan Chartier raconte que « Lebesque a une haute idée du métier de journaliste. Ce qu’il n’aime pas, et qu’il explique dans le Canard du 20 avril 1955, c’est : le journaliste ami du pouvoir, le Journaliste- qui-n’inquiète -personne, le Journaliste-sans yeux-sans-oreilles tel que les gouvernants les rêvent, c’est avant tout le journaliste Prudent, celui qui détourne la tête lorsque l’événement passe à sa portée – parce que l’événement est obscène et que dans prudent il y a prude. C’est un homme aimable, souriant, ouvert comme une catin et délibérément superficiel ». On comprend que les événements actuels au Canard lui auraient permis de donner une adaptation « interne » à ces propos pour le plus grand plaisir de la direction et des membres du conseil d’administration…

Bernard Morvan

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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9 réponses à “Le Canard enchaîné : un Corse balance…”

  1. Pschitt dit :

    On espère bien sûr que Morvan Lebesque aurait réagi. Mais n’est-ce pas très optimiste ? Il en a vu d’autres, et probablement de plus graves que des emplois fictifs, des compromissions avec les réseaux soviétiques notamment. Il y a aussi eu des sujets que Le Canard enchaîné n’a jamais abordés… même pas sous la plume de Morvan Lebesque. L’affaire Nobili révèle sans doute un affaiblissement du pouvoir au sein du journal, désormais dirigé par des vieillards. La maison était peut-être mieux “tenue” quand ils étaient jeunes.
    Le Canard enchaîné est un organe de presse qui doit beaucoup de ses informations à des trahisons entre amis politiques, des violations du secret de l’instruction, du secret professionnel et du devoir de discrétion des fonctionnaires, des vols de documents, des déballages d’épouses délaissées, etc. C’est ce qui le rend passionnant. Mais on a peine à croire que la fréquentation quotidienne de tant de vilenies ne laisse pas de traces.

  2. domper dit :

    La gauche est obligatoirement gentille, honnête et irréprochable…..la droite est méchante, raciste et fasciste….c’est tout pour aujourd’hui !

  3. Philippe dit :

    J’ai été longtemps lecteur du Canard Enchaîné, mais j’ai rompu avec ce que je croyais être un temple de l’indépendance journalistique et de l’irrévérence lors de la dictature covidienne. Le pourfendeur des magouilles des labos et de l’autoritarisme, le défenseur des libertés s’est alors transformé en zélateur du système. Sans doute l’âge avancé des patrons et leur peur de la grippe (aviaire ?) y est-elle pour quelque chose, ainsi que le réflexe débile des vieux gauchistes consistant à refuser de prendre des positions communes avec ce qu’ils appellent “l’extrême-droite complotiste.” Les révélations de Nobili sont accablantes, et confirment que j’ai bien fait d’aller voir ailleurs. Néanmoins, si le Canard peut encore rendre service, ne souhaitons pas l’abattage du volatile.

    • Granier dit :

      J’ai pareillement délaissé ce journal depuis la pseudo pandémie mais vraie escroquerie. Le Monde est pareillement passé à la trappe de mon budget infos. Je pense même qu’il est encore pire vu comment il traite la crise actuelle des retraites et des manifs. Plus Macronien on fait pas.

  4. Corlou dit :

    L’arroseur arrosé en fait , qu’ils nettoient donc donc devant leurs portes et arrêtent de donner des lecons au monde entier !

  5. Erwan Berric dit :

    Un canard? Tout au plus un corbeau.
    Cette feuille de chiotte m’a toujours fait vomir. Ce ramassis de francs-macs faussement rebelles et totalement aux ordres, de bouffeurs de curés et de pompeurs de maos mettants, ne m’a jamais inspiré la moindre confiance.
    En ce qui concerne cette affaire peines et lopes, je constate avec tristesse que le regretté et talentueux Petillon, et le regrettable Cabu, n’en ont jamais soufflé mot.

    • Dominique AUDIGUE dit :

      C’est peut-être votre commentaire qui est à gerber. Ah la vénalité de Fillon, vous ne la condamnez pas, hein. A la limite vous condamnez même qu’il puisse y avoir une dénonciation d’emploi fictif chez ceux qui les dénoncent. Vous êtes cohérent quoi. Chuuuuut faut rien dire des turpitudes des grands de ce monde. Et par logique d’une moralité douteuse, la vôtre, celles de ceux qui les dénoncent parce que eux, en ont une de morale. C’est bien ça: à gerber vous êtes !

      • Erwan Berric dit :

        Je vois surtout que tu ne sais pas lire. Retourne vite chez Libé et les Inrocks et laisse causer les adultes.
        Du balai.

      • Dominique AUDIGUE dit :

        Je tiens à presenter mes excuses à ce blog pour la stupidité et l’agressivité de mes propos.
        Une intolérance aux antidépresseurs en est la cause.
        La rédaction peut modérer ou effacer mes messages si je dépasse encore les bornes.

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