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L’Afrique dans le viseur de l’OTAN

Sorti en avril 2019, le projet de rapport intitulé « SÉCURITÉ ET STABILITÉ EN AFRIQUE – DÉFIS ET PRIORITÉS POUR L’OTAN » rédigé par le Portugais Julio Miranda Calha est édifiant. Il est pourtant passé totalement inaperçu.

Comme tous les projets de la Commission politique de l’OTAN, les grandes lignes directrices sont tracées, puis soumises aux commentaires des États membres, avant d’être approuvées par l’Assemblée annuelle, qui se tiendra, cette année, à la mi-octobre à Londres.

D’ici là, il n’y a pas l’ombre d’un suspense. D’une part, le rapport a été salué, lors de la dernière Assemblée parlementaire, en juin à Bratislava. Le communiqué final de cette réunion, tout aussi éclairant que le texte de Miranda Calha, est titré « l’AP-OTAN  presse ses Alliés de jouer un plus grand rôle en Afrique ». D’autre part, il correspond à une stratégie élaborée sûrement depuis fort longtemps, mais officialisée au sommet de Varsovie en 2016 ; la création du Pôle OTAN pour le Sud basé à Naples, inauguré en 2017, étant une des pierres de l’édifice.

Pour inciter les États membres, notamment ceux du Sud de l’Europe, à jouer ce plus grand rôle et au passage à desserrer les cordons de la bourse pour atteindre les 2 % de leur PIB consacrés à la Défense réclamés à cors et à cris par Donald Trump, Miranda Calha n’y va pas par quatre chemins. Il brosse un tableau apocalyptique de toutes les menaces en provenance d’Afrique qui pèseraient sur la sécurité des pays européens. Dans son inventaire anxiogène tout y passe : terrorisme, chômage des jeunes, immigration, piraterie, trafics en tous genres, sans oublier, Ebola.

Comment l’Alliance s’y prendra-t-elle pour résoudre le chômage des jeunes ? Le rapport ne le dit pas. Il ne dit pas non plus comment l’OTAN luttera contre les menaces sanitaires, mais les risques sont là. Diantre, le bioterrorisme pourrait atteindre les rivages de l’Europe : « Trois des six maladies que le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) désigne comme des agents de bioterrorisme de “catégorie A” en raison de leur caractère hautement contagieux et létal sont déjà présentes en Afrique. Les spécialistes estiment qu’il aurait été trop coûteux – et trop compliqué d’un point de vue logistique –, y compris pour les organisations terroristes les plus avancées, d’exploiter le virus Ebola en tant qu’arme mais la perspective d’un bioterrorisme d’origine africaine ne saurait être entièrement écartée. »

Avec toutes ces bombes « sanitaires, économiques, démographiques » qui menaceraient la sécurité des Européens, avec le terrorisme au Sahel et en Afrique centrale, l’État islamique venant officiellement de faire son apparition dans l’Est de la RDC et au Mozambique, c’est tout le continent qui offre des opportunités à l’Alliance : « Tout en admettant que l’OTAN ne peut exercer qu’une influence limitée sur le traitement des causes profondes de la criminalité, de l’extrémisme et des mouvements migratoires, M. Miranda Calha insiste sur le fait que quelques fruits sont à portée de main et que dans certains cas, l’action de l’Alliance pourrait avoir un effet positif sur la sécurité en Afrique ».

L’OTAN, continuer pour quoi faire ? 

Avec l’Afrique, l’OTAN aurait-elle enfin trouvé une réponse satisfaisante à la question existentielle qui la taraude depuis la fin de la guerre froide : continuer pour quoi faire ? Après le terrorisme post 11 septembre, la Russie de Poutine depuis la crise en Crimée, la migration depuis 2015, la Chine, si les vœux des USA sont exaucés, le continent offre un condensé de toutes ces tentatives de réponses.

En prime, l’Afrique peut mettre tout le monde d’accord. Plus de divergences, entre les Alliés situés sur le flanc Est qui « insistent pour que la menace russe fasse l’objet de la plus grande attention » et les Méridionaux qui sont plus « préoccupés par la Méditerranée », puisque l’ours russe est partout… Moscou et Pékin, d’une pierre, deux coups, sont de plus en plus encombrants dans la zone. Il est donc urgent d’agir : « Si nous n’occupons pas le terrain, alors, des pays comme la Chine, la Russie et d’autres encore continueront à nouer des relations cordiales, et à puiser dans les ressources en échange de la construction d’infrastructures. Ils élargiront leur sphère d’influence et nous laisseront loin derrière. » Cela a le mérite d’être clair : il faut occuper le terrain.

Reste un problème de droit, même si les États-Unis ne sont pas connus pour s’embarrasser de considérations juridiques, et Miranda Calha est bien obligé de le reconnaître : « l’Afrique n’entre pas dans le champ de compétence de l’OTAN », mais… car heureusement il y a des mais…

D’abord, il y a la jurisprudence, c’est-à-dire les précédents, Libye 2011 par exemple, mais de cet antécédent-là, le rapport n’en fait pas état ! En revanche, il rappelle les opérations de lutte contre la piraterie, Ocean Shield dans la corne de l’Afrique et plus récemment, Sea Guardian en Méditerranée. Il rappelle également la bonne coopération entre l’OTAN et l’Union africaine depuis 2005, qui s’est encore renforcée à partir de 2016. L’Alliance dispose désormais d’un bureau de liaison au siège de l’UA à Addis-Abeba. Enfin, il y a tous les États membres qui ont des accords de défense avec des États africains ou qui interviennent militairement sur le continent, USA, Royaume-Uni, France, UE et les divers organismes et missions : « L’OTAN peut aussi épauler les États trop faibles et apporter son soutien aux missions locales de maintien de la paix en coopérant plus étroitement avec l’Union européenne, qui joue déjà un rôle majeur dans la construction d’États, mais aussi avec l’ONU, l’Union africaine et des organismes régionaux comme le G5 Sahel ».

La force G5 Sahel, justement… Lors du sommet du G7, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont proposé d’élargir le G5 aux pays suivants : Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Sénégal, afin de « redéfinir le périmètre de sécurité ». Les États d’Afrique de l’Ouest devraient échanger sur ce sujet lors d’une réunion de la CEDEAO, le 14 septembre à Ouagadougou.

Si d’aventure, l’OTAN apportait son soutien à ce nouvel organisme régional, elle occuperait ainsi le terrain du très stratégique golfe de Guinée.

Emmanuel Macron et Angela Merkel auraient alors offert une opportunité en or à Donald Trump, d’où peut-être sa bonne humeur à Biarritz.

Le pire n’est jamais certain…

Leslie Varenne

Source : IVERISV 

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