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Du Vietnam au Somaliland en passant par les Balkans, rencontre avec Philippe Buffon, journaliste et grand reporter de guerre [Entretien]

Il y a des entretiens et des rencontres qui vous marquent plus que d’autres. Cet entretien réalisé avec Philippe Buffon, qui parcourt le monde depuis 1972 en quête de reportages, de photos, de témoignages, en fait partie.

Photographe, réalisateur et cadreur, il a parcouru le monde, du Vietnam au Somaliland, des Balkans à la Libye, souvent au cœur de conflits qui l’ont marqué, à tout jamais.

Pour évoquer plus qu’une carrière, mais une véritable passion, dont vous pourrez par ailleurs retrouver les traces sur son site, mais aussi sur sa chaine YouTube, incontournable, nous l’avons interrogé, ci-dessous. Rencontre avec Philippe Buffon, un aventurier, un grand reporter, un journaliste au parcours exceptionnel.

Breizh-info.com : Philippe Buffon, tout d’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Philippe Buffon : Je suis journaliste depuis 50 ans. J’ai commencé à l’être pendant la guerre du Vietnam.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à devenir journaliste, et grand reporter ? 

Philippe Buffon : Je revenais d’un conflit, où j’avais effectué mon service militaire. J’ai connu la guerre et j’ai voulu dénoncer cet état de fait.

J’avais deux solutions : ou bien aller en faculté, ou bien essayer de faire quelque chose d’autre. Un de mes amis journalistes, voyant que je m’intéressais à la photographie, m’a proposé de venir avec lui au Vietnam, à mes frais. Chose que j’ai acceptée immédiatement.

J’ai pris un billet pour Saigon et je me suis retrouvé là-bas. Cela n’a pas été un début très brillant, car je suis rentré au bout d’un mois et demi. C’était dur, car il fallait vendre des photos, essayer de voir directement si je pouvais travailler sur place là bas, mais il y avait trop de correspondants.

J’ai eu un contact avec une agence de presse toute nouvelle, émanation de Paris-Match. Une toute petite agence qui m’a indiqué n’avoir personne au Vietnam et vouloir que je parte pour eux. J’y suis allé tout de suite, mais ça a été très dur, car l’agence n’avait pas beaucoup d’argent. C’est le problème des petites boites de journalisme : t’as pas de fric, tu dépenses de l’argent, et tu es en face de monstres, d’agences de presse énormes contre qui tu ne peux pas rivaliser.

« Par chance » (rires), j’ai été blessé grièvement au Vietnam, j’ai pris deux balles dans le ventre, et ça m’a fait connaitre. C’est fou ! À ce moment-là, on a commencé à parler de moi.

Je suis reparti en France pour me remettre de mes blessures. Puis on m’a fait des propositions à droite à gauche pour partir sur d’autres reportages. J’ai accepté tout de suite. Des collègues journalistes et photographes m’ont proposé de venir avec eux, j’ai pu élargir mon champ de vision.

Breizh-info.com : Avec quoi est-ce que l’on part, au départ, sans le sou, niveau matériel ?

Philippe Buffon : j’avais un simple Canon 50mm, ce n’était vraiment rien. Puis j’ai acheté un 28, mais un boitier seulement.

Une photo prise au Cambodge

Breizh-info.com : Comment est-ce que l’on se construit un réseau ensuite pour pouvoir se retrouver en première ligne sur les conflits ?

Philippe Buffon : Je suis parti au Yémen, j’ai fait des photos pas mal. Puis des expositions, à Paris, en invitant toutes les rédactions françaises pour les voir, dans un bistrot. Il y a eu quelques critiques, du coup j’ai pu rencontrer quelques rédactions. Je suis tombé sur le patron de Sigma de l’époque, Hubert Henrotte, qui m’a expliqué que mon travail l’intéressait (c’était une des plus grandes agences photo au monde). Je suis reparti pour lui au Vietnam, on a fait la chute de Saigon. Et là c’était parti. J’ai obtenu une carte de presse, le statut a changé.

Breizh-info.com : Le matériel aussi ?

Philippe Buffon : Oui, je suis parti avec 4 boitiers la dernière fois au Vietnam. C’est une ascension extraordinairement difficile.

Breizh-info.com : On sent chez vous l’amour du journalisme de terrain, de la volonté de se battre pour récolter les fruits de son acharnement.

Philippe Buffon : J’étais toujours sur la ligne de bascule, je ne savais pas si je tomberais du bon ou du mauvais côté financièrement.

Breizh-info.com : Parlez-nous un peu de votre parcours à travers le monde ? Quels sont les séjours, les reportages qui vous ont le plus marqué ?

Philippe Buffon : Au départ, j’étais dépendant des rédactions, je ne choisissais pas les zones où j’allais. Sigma m’a demandé de partir au Liban. En 1975, à peine revenu du Vietnam, guerre du Liban. J’y connaissais des gens, j’ai pu revoir plein de gens, et y aller tous les mois pour travailler.

Breizh-info.com : Sur place, sur un conflit comme ça, qu’est-ce qui différencie le grand reporter photo, vidéo, du journaliste de presse écrite ? Est-ce un travail commun ?

Philippe Buffon : La photographie, il faut être collé à l’action, sinon on n’a rien. Quand tu fais un papier, tu peux être au Grand Hôtel de Beyrouth Ouest et te rencarder. C’est ce que souvent je constatais. On revenait du front, et on était assailli dans l’hôtel par des gens qui voulaient des infos. Mais nous avions besoin d’avoir des photos.

Breizh-info.com : Est-ce difficile de rester objectif lorsque l’on va sur un théâtre de guerre, et de se faire accepter dessus ?

Philippe Buffon : Non, ça n’est pas difficile. J’allais toujours des deux côtés, sauf en Somalie, où je ne suis pas allé du côté des islamistes, idem en Bosnie où je ne suis pas allé avec les intégristes musulmans.

Ce n’est pas difficile de se faire accepter par des combattants. Les pauvres mecs, ils sont pris dans une guerre qui les étouffe, et ils voient que t’es comme eux, que tu dors ou manges avec eux, que tu risques ta peau aussi. Ils t’acceptent.

Philippe Buffon au Gabon

Breizh-info.com : Sur votre chaine YouTube, on retrouve notamment énormément de reportages sur la guerre en ex-Yougoslavie, dans les Balkans. Comment avez-vous vécu cette guerre, vous qui êtes allé sur le front, dans tous les camps ?

Philippe Buffon : Je suis arrivé dans cette guerre de façon dingue. J’en avais marre de la guerre. Je voulais faire un film d’auteur, et je me suis rendu à Sarajevo, avec ma petite caméra, pour faire des images de villes détruites. Ce qui se passait dans les Balkans, je n’en avais rien à cirer. Et je me suis fait tirer dessus. Et j’ai voulu voir, énervé, qui m’avait tiré dessus.

Je suis tombé sur un homme, un Serbe se battant pour les Bosniaques, qui a pété les plombs devant moi, et qui m’a touché. Il a éclaté en sanglots, devant ma caméra, en disant qu’il n’avait pas le choix. Il était jeune étudiant. Je l’ai interviewé, il espérait la paix, partir vivre sur une île loin de tout, surtout de la guerre. Et poursuivre ses études. J’en ai fait un sujet TV pour Envoyé Spécial et je suis retombé dedans.

Je suis revenu voir cet homme deux trois mois après, puis je suis parti dans un bled pommé de Bosnie, j’ai failli me faire flinguer. Puis j’ai baroudé. Je suis allé avec les Serbes.

Breizh-info.com : Vous avez pris des risques insensés non ?

Philippe Buffon : Oui. Mais je ne m’en rendais pas compte. J’ai voulu par exemple filmer les Russes qui combattaient avec les Serbes. On m’avait parlé d’un trafiquant d’armes à Belgrade qui vendait des armes à toutes les parties, des armes russes. Je vais le voir, je lui indique ce que j’aimerai faire, le gars me regarde bizarrement, je lui explique que je veux aller voir les Russes, il m’invite à boire un verre. Je le retrouve totalement ivre. Au bout d’un moment, il me dit « tu es un Bosniaque ! » Il me met un flingue dans la bouche, me cassant deux dents au passage. Je me suis vu mourir.  Puis le type, ivre, d’un seul, coup, retire le pétard de ma bouche, en riant d’un rire dément, en me disant « T’es un vrai Tchtenik ! » (rires). Et j’ai réussi à aller voir les Russes.

Mais les policiers en zone serbe m’ont pris toutes mes bandes vidéos. Alors que j’étais le seul journaliste occidental à pouvoir les voir… mais plus de bande ! Mais j’ai gardé la caméra… jusqu’à ce que les policiers croates me la volent, ce qui constituait un drame économique pour une petite boîte comme la nôtre.

Breizh-info.com : Dans ces situations, la carte de presse a-t-elle une utilité quelconque ?

Philippe Buffon : Sur la bagnole, il y avait écrit Presse en gros. Mais les types nous ont pris voiture, et caméra. La voiture a été rendue quand je suis allé voir un général croate anciennement légionnaire français en menaçant de me plaindre à la légion. Pas la caméra.

Breizh-info.com :  Et vous avez couvert le conflit jusque-là fin ?

Philippe Buffon : Oui. Et même plus, car le sniper dont je parlais plus haut, je l’ai revu, 20 ans plus tard.

Breizh-info.com : sur l’île dont il rêvait ?

Philippe Buffon : Non, il est mercenaire en Irak, puis en Afghanistan. S’il y a un reportage qui m’a déchiré le cœur, c’est celui-ci. Pour moi, il représentait une jeunesse qui refusait la guerre. Et au contraire, il est rentré complètement dans la violence. Quelle horreur.

Breizh-info.com : Toutes ces zones de guerre couvertes finalement, c’était aussi pour vous avec l’idée de montrer ses horreurs, de faire passer un message antiguerre ?

Philippe Buffon : Exactement. J’ai montré l’horreur de la guerre. Mais finalement, je pense que les gens s’en moquent. Sur ma chaine YouTube, je montre des rushs vidéos à des Serbes, à des Croates, à des Bosniaques pour leur dire « regardez, ne refaites pas la guerre, ne revivez pas ça »… mais quand je lis certains commentaires, c’est à se flinguer !

Breizh-info.com : Votre expérience vous a donc amené à être désabusé sur la condition humaine par rapport à la guerre ?

Philippe Buffon : Oui. Cela réveille les pires choses au niveau de l’homme, vraiment. On devient des bêtes.

Breizh-info.com : Vous l’avez constaté sur tous les théâtres de guerre ?

Philippe Buffon : Oui, partout. Quand je vois le Vietnam, c’était horrible. Ces populations  massacrées par les Nord-Vietnamiens, ça a été abominable.

Un exemple : Les communistes nord-vietnamiens essaient de prendre une ville. Ils laissent une route ouverte. Pourquoi ? Ils ont miné la route. La population s’engouffre sur la route, tout explose. Moi j’étais là à voir cela, c’était une horreur.

Breizh-info.com : Quel regard portez-vous sur l’évolution de notre monde, mais aussi de votre métier ?

Philippe Buffon : La guerre froide est terminée et bien terminée malgré ce que peuvent dire certains médias. Mais on a vu récemment d’autres horreurs, en Libye, en Syrie…

Quand on voit ce qui a été fait en Afghanistan… ce que les Américains ont fait. Je déteste les Américains, vraiment.

Breizh-info.com : Ils l’ont fait partout…

Philippe Buffon : Oui, partout. Ils ont abandonné leurs alliés, partout. Ils s’en foutent. Ils disent que c’est pour la Démocratie, mais ils s’en moquent…

Breizh-info.com : Y’a-t-il une solidarité dans le milieu du grand reportage ?

Philippe Buffon : j’ai toujours été seul, et indépendant. Cela a beaucoup d’inconvénients. Mais en termes d’avantages, on fait ce qu’on veut. En télévision, j’ai fait ce que je voulais. Mais cela coûtait cher de faire un reportage, donc il fallait avoir de l’argent, donc pouvoir ne pas trop se payer, etc.. Cela n’a rien à voir avec le fonctionnement normal d’une boîte de production. Rien.

Breizh-info.com : Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent se lancer, et devenir de grands reporters de terrain, y compris en zone de guerre, même si les choses ont changé ?

Philippe Buffon : D’abord, de faire une école de journalisme. Je crois franchement qu’une école donne des débouchés, vers des stages notamment. Il y a quand même un fonctionnement de l’info qui n’a plus rien à voir avec ce que moi j’ai connu.

Cela donne un accès à des salons, pour la vidéo, pour la photo, c’est intéressant.

Breizh-info.com : Ce sont quand même des écoles réputées pour formater…

Philippe Buffon : Oui on est d’accord. Mais il ne faut pas se laisser formater. Il faut se donner la possibilité d’avoir tous les outils. Ils te donnent des directions, des possibilités.

Breizh-info.com : Pour conclure, un souvenir, marquant, à partager avec nos lecteurs, qui vous vient à l’esprit ?

Philippe Buffon : Je pars au Somaliland, en 2008-2009, pour rencontrer des types qui vont me faire passer pour aller voir des pirates. Je pars avec un ami à moi somalien, venu spécialement de Mogadiscio. On arrive à Hargeisha, la capitale de ce pays qui n’existe pas pour l’ONU, et on rencontre les types qui nous demandent ce qu’on veut faire. On doit rencontrer les pirates dans un autre État. Les gars commencent à parler dans un patois incompréhensible, que mon traducteur ne comprend plus non plus. On appelle le directeur de l’hôtel, qui arrive, fait la traduction. Les types ont une bonne tête, je me dis que tout va bien, qu’ils sont francs. On tombe d’accord sur une somme. Je leur dis qu’on doit aller à Djibouti récupérer cette somme et on se donne rendez-vous dans trois jours. Les types partent, et le directeur de l’hôtel nous dit de ne pas y penser, que les types, dans leur patois, expliquaient que le Blanc là (donc moi), on allait le vendre à je ne sais qui contre 40 000 dollars (rires).

Breizh-info.com : Vous avez donc été sauvé par le directeur de l’hôtel…

Philippe Buffon : Oui. Et je n’ai pas pu aller voir les pirates. Pourtant ça m’a toujours attiré. J’étais sur le coup une fois en Mer de Chine, avec des Pirates qui attaquaient les Boat People vietnamiens, et qui se réunissaient chaque année au large de la Birmanie pour faire des fêtes dingues, où ils invitaient des prostituées en nombre.

J’ai tenté le coup d’y aller, avec une Thaïlandaise, pour faire la fête des pirates. Mais ça n’a pas fonctionné. (rires).

Breizh-info.com : Qu’est-ce que votre carrière vous aura apporté, si vous deviez faire un bilan ?

Philippe Buffon : C’était une passion pour moi. Extraordinaire. Je ne renie rien de ce que j’ai vécu. Même si ça a été dur, et alors ? C’était génial. Par contre, ce métier te détruit une vie familiale. Ce n’est pas compatible avec. C’est normal.

Propos recueillis par YV

Photo d’illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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