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Histoire de la Bretagne. La diversité bretonne en mouvement, par Frédéric Morvan

Il y a bien sûr une Bretagne, grande, plus vaste en superficie que la Belgique, diverse dans ses paysages – dès que l’on traverse la Loire, les toits sont couverts de tuiles majoritairement et plus en ardoises. Il n’y a pas bien sûr un seul Breton, mais des Bretons et des Bretonnes. Pour ceux qui voulaient, veulent, voudraient un homo britonnicus, comme certains ont voulu un homo anglicanus, un homo sovieticus, un homo americanus, etc, ils en seront pour leurs frais. Les Bretons et les Bretonnes sont multiples et en mouvement comme le révèlent, à mon humble avis, quelques éléments historiques. Regardons dans les trois mondes, pas assez liés entre parenthèses à mon goût, de la politique, de l’économie et de la culture.

Mais d’abord la Politique. Si les frontières est de la Bretagne sont immuables ou presque (voir les marches séparantes au Sud du pays de Retz), à l’intérieur de la Bretagne, cela a bougé, ce qui n’a pas été sans conséquences pour ses habitants. Sans que l’on sache exactement leurs limites (sans doute matérialisées par des rivières), les grandes circonscriptions politiques bretonnes ont connu des transformations. Avant les invasions vikings du IXe et Xe siècles, le royaume de Bretagne comprenait les comtés de Poher, de Cornouaille, de Vannes, de Léon, de Nantes et de Rennes ; les comtes du Poher (grande région autour de Carhaix) possédaient le trône royal.

Je pense de plus en plus que les comtés de Cornouaille et de Vannes ne comprenaient que la frange littorale de la Cornouaille et du Vannetais actuels. Les Vikings changèrent la donne. Les princes royaux de la maison de Poher s’enfuirent en Angleterre puis revinrent pour devenir simplement ducs de Bretagne (Alain Barbetorte), sans parvenir vraiment à restaurer le pouvoir de leurs ancêtres, les rois Nominoë, Erispoë, Salomon. Après la disparition d’Alain Barbetorte et ses descendants directs, les comtes de Rennes et de Nantes, apparentés aux rois bretons, se disputèrent le pouvoir sur la Bretagne, pouvoir qui glissa donc de l’Ouest vers l’Est. Les comtes de Rennes disposant d’un immense territoire, allant à l’Ouest jusqu’à Callac et Lannion, comprenant tout le Centre de la Bretagne, et allant au Sud jusqu’aux landes de Lanvaux, semblèrent l’emporter. Les comtes de Nantes répliquèrent en s’alliant avec les comtes de Cornouaille de plus en plus puissants, d’autant qu’ils étaient de père en fils évêques de Cornouaille, mais aussi par mariage comtes-évêques de Vannes. Au XIIe siècle, on tenta un mariage et donc une réconciliation : Hoël de Cornouaille, comte de Vannes, Nantes et Cornouaille, épousa Havoise de Rennes, duchesse de Bretagne en 1066, comtesse de Rennes.

L’unification n’eut pas lieu car l’oncle paternel d’Havoise, Eudes, fils du duc Geoffroy Ier (mort en 1008), prétendit, car il était le seul descendant male de la maison de Rennes, au trône breton et s’installa à l’Ouest du comté de Rennes, dans les évêchés de Tréguier et de Saint-Brieuc. Ses descendants furent à l’origine des comtés de Tréguier et de Penthièvre. De ce conflit familial découla une série de crises majeures qui dura plus de 400 ans et qui ensanglanta la Bretagne (le plus grave épisode étant la guerre de Succession de Bretagne de 1341 à 1364, en fait jusqu’en 1420), opposant en gros le Nord (Eudes) et le Sud (Havoise) du duché, opposant les descendants d’Eudes plus enclin au fédéralisme s’appuyant sur la féodalité, aux descendants d’Havoise, ducs de Bretagne en titre, représentants le centralisme ducal breton. Cette querelle permit au roi de France de contraindre en 1491 Anne de Bretagne à se marier avec lui. Charles VIII de France disposait en effet des droits des descendants d’Eudes (mais aussi ceux de la maison de Dreux-Bretagne qui avaient régné sur le duché de 1213 à 1341). Ce conflit dynastique et politique ne se termina pas avec Anne. Il revint en force lors de la Ligue, à la fin du XVIe siècle, lorsque la femme du gouverneur de Bretagne, le duc de Mercœur, descendante directe d’Eudes, réclama le duché pour elle. Mercœur fut vaincu et se soumit au roi Henri IV. Son épouse fut humiliée par le mariage forcé de sa fille et héritière au bâtard d’Henri IV, le célèbre duc de Vendôme.

 Le roi de France contrôlait alors toute la Bretagne, du moins on pourrait le croire. On sait peu que Louis XIV laissa à sa mort en 1715 des dettes effroyables que ne purent, malgré quelques manipulations financières, jamais éponger ses successeurs. On sait encore moins que le duc de Penthièvre, cousin des rois Louis XV et Louis XVI, richissime, amiral de France… et de Bretagne, racheta au roi la gestion de tous les Domaines royaux en Bretagne. Son pouvoir en Bretagne avoisinait ou même était supérieur à celui de son royal cousin. On ne sait guère que la Bretagne était administrée par ses propres institutions, que le roi n’avait pas que des amis au Parlement, dans la Chambre des Comptes et dans les Etats de Bretagne, c’est le moins que l’on puisse dire (voir sous Louis XV, l’affaire La Chalotais). On sait trop peu que dans ces instances, on se disputait beaucoup : l’ancienne noblesse féodale, très présente à la cour royale, était très critiquée par la nouvelle et riche noblesse parlementaire qui fut elle-même contestée par les représentants des villes.

On sait par contre que la Bretagne implosa en 1791 en 5 départements, Loire-Inférieure, Côtes-du-Nord, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Finistère, dont les limites avaient été fixées grosso-modo… sous Louis XV alors en guerre avec le Parlement et les Etats de Bretagne. Même si ces départements avaient le même fonctionnement que les autres départements français, ils conservaient entre eux des liens historiques, culturels, militaires, économiques, sociaux, dont les ciments étaient bien sûr la langue, la religion, mais surtout les Bretons et les Bretonnes eux-mêmes. Et le gouvernement de Paris sut en tenir compte. Par exemple, il constitua une armée de Bretagne pour défendre la France envahie par les Prussiens en 1870. Au début de la Grande guerre, les Bretons étaient dans des régiments bretons. On pensait qu’ils combattraient mieux ensemble. Ces liens entre les Bretons et les Bretonnes étaient très visibles surtout lorsqu’ils émigrèrent vers Paris Le Havre, Boulogne, etc. Ils surent se regrouper. A Paris, des dizaines de milliers d’entre eux vivaient en Seine-Saint-Denis. Et tout le monde sait que le quartier Montparnasse est le quartier des Bretons.

Cependant, à partir de la départementalisation, les choses changèrent… On étaient plus simplement des Bretons, sujets du roi, Cornouaillais, Nantais, Léonards, Vannetais, mais on étaient Français, Bretons, Finistériens, Cornouaillais ou Léonards, ou Morbihannais de Vannes ou de Lorient, etc. Et l’on est encore ! Les Bretons s’éloignèrent les uns des autres. Et les résultats sont visibles aujourd’hui. De plus, les Bretons ne votaient pas, lorsqu’ils en avaient le droit (le suffrage censitaire excluait les plus pauvres dans la première moitié du XIXe siècle et surtout l’absence d’isoloir obligea pendant longtemps de montrer son vote à tous… surtout aux propriétaires terriens qui souvent se présentaient aux élections), tous de manière identique. De l’extérieur, on voit les Bretons comme des conservateurs, légitimistes, n’aimant donc guère le changement : par exemple, ils ont eu bien du mal à accepter la République, mais lorsqu’ils l’ont assimilée, c’est pour la vie. De l’extérieur, on vit et voit encore les Bretons d’un seul tenant, peuple agricole, terrien, attaché à son terroir, à la Bretagne.

Et c’est vrai et c’est faux. C’est vrai et Pétain comme d’autres l’ont cru surtout lorsqu’il redonna son unité à la Bretagne… du moins sans la Loire-inférieure car pour lui comme pour d’autres Nantes et son département, aujourd’hui la Loire-Atlantique, appartenaient au Val de Loire. Il a cru comme d’autres que la Bretagne et les Bretons étaient entre les mains fermes d’une noblesse et d’un Eglise catholique traditionnelles, terriennes, plongeant ses valeurs dans l’Ancien Régime, dans la féodalité et dans le régime seigneurial. C’était et c’est encore oublié que Nantes et sa région (en gros la Loire-Atlantique) appartenaient et appartiennent de manière inaliénable à la Bretagne. Et en son temps, le grand roi Henri II Plantagenêt (mort en 1189), régent du duché, finit par le comprendre. S’il donna le comté de Nantes à son frère cadet, Geoffroy et le récupéra pour lui seul après la mort de ce dernier, il dut le restituer en 1181 à son fils cadet, Geoffroy II, duc de Bretagne par son mariage avec la duchesse Constance, lorsque Geoffroy devint majeur et souverain du duché. Il est étrange que les éléments extérieurs à la Bretagne voient Nantes et sa région comme des territoires détachables de la Bretagne. Ainsi, si je ne me trompe pas, dans les actes de la succession d’Anne de Bretagne (mort en 1514), l’administration royale parlait du duché de Bretagne et du comté de Nantes. Néanmoins, cette administration savait qu’il fallait les citer ensemble.

Et Pétain se trompait encore comme d’autres : la Bretagne et les Bretons n’étaient pas figés dans leurs opinions politiques. Et tout le monde n’y votait pas (et n’y vote pas) de la même manière, heureusement. On remarque que souvent les paroisses ou les communes qui ont connu la Révolte des bonnets rouges de 1675 sont plus « révolutionnaires ». Elles ont été proches des Républicains durant la Révolution. Bref, elles sont plus à gauche. En 1881, la République en Bretagne est devenue majoritaire : 22 députés de « gauche » (Républicains) contre 19 conservateurs (souvent royalistes). Les côtes et les villes étaient plus favorables au nouveau régime que le Centre Bretagne, la Haute Bretagne, les marges angevines et vendéenne qui restèrent des fiefs conservateurs. Et encore, car cela dépend des terroirs, des paroisses, des quartiers, des personnages qui se présentaient aux élections.  

Pétain voulut se reposer sur les riches et puissants clergé et noblesse bretonnes, sans savoir ou comprendre que l’Encyclique « Au milieu des Sollicitudes » (de Léon XIII, 1892) les avaient mis en difficulté et qu’une nouvelle génération d’hommes politiques, jeunes prêtres (ce que l’on nomme les abbés démocrates, Trochu le fondateur d’Ouest France, Mancel), notables (comme ces nobles qui furent à l’origine de l’office central de Landernau), médecins, avocats, notaires, négociants, en avaient profité pour imposer leurs nouvelles idées, plus humanistes, plus sociales, plus universelles. Mêmes les Juloded, ces notables ruraux du Léon, retirèrent leur soutien au comte de Mun, fondateur de la Démocratie chrétienne, qui perdit sa députation du Finistère. Pétain et d’autres ne comprirent pas que l’énorme émigration bretonne et surtout la Grande Guerre étaient passées par là, que les Bretons et les Bretonnes avaient fait exploser les carcans imposés par les élites bretonnes de la première moitié du XIXe siècle. Ils étaient partout et voulaient tout voir, comme avant la Révolution.

Pendant l’Entre-Deux-Guerres, la Bretagne politique étaient tricolore… blanche, bleue… et rouge. En 1929, un quart des municipalités bretonnes était entre les mains de conservateurs monarchisants. C’est la Bretagne des marquis, Montaigu, Kerouartz, Kernier, Ferronnays. Les Bleus, radicaux et radicaux-socialistes, qui gouvernaient alors la France (avec la nantais Aristide Briand) représentaient alors 10 à 12 % des voix et dominaient surtout les villes et quelques régions rurales (le Trégor, la Haute-Cornouaille, le Finistère Sud). Ils glissèrent progressivement vers le centre politique, avec l’arrivée des Rouges, socialistes et marxistes, ces derniers se réclamant de la pensée de Karl Marx, qui a eu, on ne sait guère, des propos très durs envers les Bretons (ceux bien sûr qui ont étouffé la Commune de Paris – mais aujourd’hui ses seuls descendants… sont Bretons bien sûr). Si à partir de 1920, le communiste ne prit pas en Bretagne, sauf dans les ports de Concarneau et de Douarnenez, il fut très puissant parmi les Bretons de Paris. En Bretagne progressivement les socialistes se retrouvèrent de plus en plus importants dans les villes. Quant à Emsav, le mouvement breton, il tenta de sortir de l’élitisme et de la marginalité, sans grand succès, sauf pour ce qui est du nouveau drapeau breton, le Gwen a Du, adopté par la population bretonne avec une rapidité spectaculaire. 

Après la Seconde guerre mondiale, les dirigeants traditionnels comprirent qu’il leur fallait s’effacer, même si certains avaient été des résistants. On voulait des gens neufs, plus jeunes, issus de la Résistance, mais surtout de la JAC (Jeunesse agricole catholique), très active pendant la guerre, organe mobilisateur, donnant espoir dans un autre avenir, vers l’ouverture et la modernité, d’où sortirent de nouvelles personnalités, élus politiques et syndicaux. Ce renouveau ne durera pas. Les grandes tendances politiques de l’Entre-Deux-Guerres revinrent en force sous la IVe République. Avec l’arrivée de la Ve République réapparurent les notables traditionnels. Le CELIB, ce Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons, né en 1950, réunissant des leaders bretons de l’économie et de la politique, réussit à se maintenir jusqu’aux évènements de 1968. S’il est à l’initiative de ce que l’on nomme le modèle économique breton, il n’est pas parvenu à établir un modèle politique breton. Trop de différences politiques. Trop d’intérêts divergents. Des Institutions centrales parisiennes trop attractives. Et puis les Bretons étaient depuis longtemps si divers politiquement.

Conservateurs, légitimistes, pivots de la monarchie française lorsqu’elle fut acceptée et assimilée, pivots de la République française encore aujourd’hui, les Bretons et les Bretonnes ne semblent pas aimer une chose : qu’on les prenne pour de crétins et des crétines. Louis XIV dépassa les bornes et eut droit aux Bonnets rouges. La Révolution, initiée par les nombreux Bretons du Club breton, fit de même et eut droit aux Chouans. Napoléon III vit la noblesse bretonne et la Bretagne lui tourner le dos lorsqu’il crut pouvoir imposer sa volonté à la puissante Association bretonne. La République radicale, celle de Combes, eut un mal de chien à imposer ses lois anticléricales… il est vrai que les prêtres bretons jouaient depuis plus d’un millénaire un rôle social et culturel essentiel en Bretagne. Peut-on dire que l’opposition bretonne à Pétain fut dès le début considérable ? On sait qu’à Londres, les Bretons soutenant le général de Gaulle étaient très nombreux : l’association bretonne des Forces Françaises Libres Sao Breiz réunissait plus de 800 d’adhérents.

Il faut donc se méfier. En politique, les Bretons et les Bretonnes n’ont pas des opinions immuables. Ils sont divers et en mouvement, comme le sont leur société, leur culture et leur économie, comme nous le verrons dans les prochaines chroniques. 

Fréderic Morvan

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