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Notre-Dame des Landes : la face cachée de la contestation paysanne (partie 2)

Suite de notre enquête sur la face cachée de la contestation paysanne à Notre-Dame des landes.

Notre-Dame-des-Landes – ZAD : la face cachée de la contestation paysanne

Guy Lamisse : les zadistes et Copain 44 en veulent à ses terres

« Est-ce qu’au niveau de COPAIN il a été décidé d’une surface de terre que le mouvement pourrait reprendre » , s’interroge un participant. « Réponse de quelqu’un de COPAIN : le plus possible ». Plus loin, le clou est enfoncé : « appui de COPAIN pour tous les projets ». Quelle que soit leur viabilité : « l’essentiel n’est pas le statut exact du projet qui a besoin de parcelles. L’important c’est de prendre les terres et les tenir ».

Un participant est allé mesurer les terres sèches au centre de la ZAD, les meilleures : « au sud des Fosses Noires, une parcelle de 3.3 ha, une autre de 3 ha, champ de la 4L environ 1.6 ha, au sud des 100 Noms 0,8 ha », soit 9 hectares, et « Isolette, cultivé par La.(misse) : entre 6.5 et 7 hectares ». Soit la moitié des terres sèches au centre de la ZAD, visées par les zadistes et COPAIN44.

Ses « terres ressuyées bien pour les céréales et légumes plein champ » font l’objet d’un peu plus d’attention. « Lamisse l’agri est toujours en activité. C’est pas notre pote (a servi de caution aux Ailes pour l’Ouest et à Retailleau dans sa campagne anti-zadiste. Si prise de terre à Lamisse potentiellement plus d’embrouille que sur d’autres prises de terres ». Mais ses six hectares sont déjà partagées : « Mika en céréales, Lucas en orge brassicole, Sème ta ZAD en légumes […] environ 6 ha avec 2 en céréales, 2 en orge, 2 en engrais verts puis légumes ».

Problème : Guy Lamisse était, lui, propriétaire. Exproprié de ses terres, mais pas de ses bâtiments – pour l’heure accessibles seulement depuis la ZAD – il a l’intention de rendre l’indemnité pour reprendre son bien. S’il est basé près de Nantes, il exploitait aussi depuis les années 1970 à l’Isolette, une belle ferme au sud de la ZAD. Ses enfants y vivaient jusqu’en 2013, mais ont du quitter les lieux, harcelés par les zadistes. Peu après, sa ferme a été squattée. Puis ses deux maisons ont été forcées à plusieurs reprises, des objets volés.

A bout de nerfs, Béatrice et Guy Lamisse font le tour des environs avec une pétition papier réclamant le départ des zadistes, récoltant près de 1628 signatures qu’ils posent en Préfecture. Sans obtenir plus que l’écoute du préfet – même si leur combat est relayé par les pro-aéroport et Bruno Retailleau. Peu après, leur bien est forcé et couverte de tags insultants, « collabos », « vendus », « ta maison sera bientôt à nous », « zad dans ta gueule ». Il l’a encore été à plusieurs reprises courant 2016 et 2017.

Nous avons rencontré Béatrice et Guy Lamisse. « Notre ferme est située près de Nantes, et mes parents avaient acheté 15 hectares là-bas à l’Isolette en 1970 en pensant que la pression foncière allait finir par nous chasser ». Il a commencé à exploiter là-bas – il est maraîcher – et a agrandi sa ferme « en 1989, quand on a pu racheter 5 hectares et l’autre partie de la ferme ». Guy Lamisse résume ce qui s’est passé : « quand il n’y a plus de police, plus d’Etat, c’est la porte ouverte au n’importe quoi. Les zadistes avaient des besoins en logements, en literie, en cuves, en filets, ils se sont servis. Chez moi ».

Tout en s’intéressant beaucoup à sa ferme en particulier. « En 2015, un jour, un zadiste nous a arrêtés en nous disant ”je veux une exlication”. Il nous a expliqué que la ZAD était très intéressée par la ferme de l’Isolette et qu’il y a même des gens qui sont allés voir au cadastre si nous étions bien propriétaires. Il nous a proposé ”pour ne pas avoir d’ennuis” de louer 400 € par mois la maison aux zadistes, et nous pouvions même passer par une agence pour toucher l’APL. Nous avions refusé fermement ».

Un paysan de la ZAD de NDDL : « J’accuse la Confédération paysanne et Copain44 »

Et ils continuent « il y a toute une économie parallèle. Des vols d’électricité, d’eau – les compteurs ne sont pas relevés ni coupés, EDF n’y va pas – de l’abattage clandestin, pas de contrôle laitier pour le lait. L’an dernier, on a eu un appel d’EDF, ”on va vous couper l’électricité à l’Isolette car vous ne payez pas. On leur a dit qu’on avait résilié la ligne fin 2012, elle n’a toujours pas été coupée. Des plants de cannabis un peu partout ». Ce que confirme un autre agriculteur : « j’en ai trouvé sur mes parcelles, dans une espèce de clairière. C’est difficile à repérer pour l’hélicoptère des gendarmes. J’en ai vu aussi sur le bord des champs, disséminés, quelques uns par ci par là ». Loin des six hectares d’un seul tenant dont parlaient à une époque les forces de l’ordre pour justifier une possible intervention.

A l’origine il était contre l’aéroport. « Notre action [la pétition] n’était pas destinée à être pour ou contre mais à évacuer la ZAD, il faut que le droit y revienne. Cependant, les pro-aéroport nous ont sollicité et c’est le seul écho positif qu’on a eu à notre action. Puis il n’y avait que l’aéroport pour que les zadistes partent et que notre bien reprenne un peu de sa valeur ». Pour l’heure, Guy Lamisse attend « le 31 mars », date à laquelle les zadistes qui n’ont pas de projet agricole ou de titre de propriété sur zone doivent être partis – une vingtaine à peine ont quitté la ZAD depuis mi-janvier. Notre bien a beaucoup perdu de sa valeur, s’ils dégagent les zadistes, il en reprendra un peu. Sinon on n’exclut pas d’attaquer l’Etat ».

Serge Durand à Bellevue et aux Rosiers : cinq ans de cohabitation chaotique avec les zadistes

Parti en janvier 2013, Serge Durand a été locataire du conseil général à Bellevue pendant trente ans. Il exploitait aussi au Rosier, dont la maison avait été squattée depuis 2007. « C’était le premier squat de la ZAD », se souvient un habitant de Notre-Dame des Landes. « C’était Julien Durand qui les avait amenés là, comme la maison n’appartenait pas à Serge il n’avait rien à dire, mais la cohabitation a été houleuse, même avec les premiers qui étaient plutôt du genre baba cool ».

Les premiers squatteurs étaient « sympa, mais ils ne faisaient pas attention. Ils passaient dans les champs avec des chiens et se faisaient courser par les vaches, ouvraient les clôtures et ne les refermaient pas, etc », se souvient un agriculteur. Mais assez vite le ton a changé, alors même que Serge Durand ne refusait pas de leur rendre service, bien qu’il était assez occupé avec ses 200 bêtes. « Après, ils s’installaient partout, tout était à tout le monde pour eux, ils barricadaient les routes, ça a commencé à se dégrader nettement en 2011 », se remémore un autre agriculteur. « Lors de leurs fêtes d’automne, il y avait des gens d’ailleurs qui venaient, un peu de la racaille, c’était tendu ».

En mars 2012, un nouveau palier est franchi. Un communiqué de squat.net affirme – en brocardant le fermier – « c’est en fonçant sur un pote avec son tracteur qu’il a franchi une nouvelle limite. S’en est suivi une discussion animée au cours de laquelle il aurait pris un coup » et a porté plainte. Son agresseur a été arrêté dès le lendemain pour « violence avec usage ou menace d’une arme (Interruption temporaire de travail de 6 jours), en espèce un jet de porte de clapier » et a été convoqué au TGI de Nantes le 21 juin.

Un agriculteur de Notre-Dame des Landes a une autre opinion : « les zadistes étaient dans la cour du Rosier en train de souder quelque chose, quand il est arrivé avec son tracteur pour passer, ils n’ont pas bougé. Il a baissé sa fourche mais ne pouvait pas passer. Le ton est monté, son fils s’est mis entre lui et les zadistes, l’un d’eux lui a balancé une porte de clapier en ferraille, il ne s’en est rendu compte qu’après – il était très malade et était sous morphine pour supporter la douleur ». Le lendemain, « quarante à cinquante zadistes sont venus sur la route de Bellevue, près de la ferme, ils ont envoyé trois filles en délégation voir le fermier ». Qui a du retirer sa plainte. Serge Durand a aussi été menacé de mort au téléphone, à plusieurs reprises.

Après cette histoire, un hangar à foin de Serge Durand a brûlé à l’automne 2012. « Les gendarmes nous ont appelé à cinq heures du matin », se souvient un proche. « Mais c’était déjà trop tard. Et ça a vite brûlé. D’ordinaire le foin ça se consume mais là ça a brûlé en vitesse. Un voisin avait entendu des explosions. Peut-être des bouteilles de gaz ou autre » explique-t-il, convaincu que « ce sont les zadistes qui ont brûlé le hangar ».

Le fermier devait partir au 31 décembre, puis après « c’est tout juste s’il ne fallait pas rester », explique le proche. « En passant toutes les nuits à se promener avec le chien – qui couchait dedans – car les zadistes passaient à deux ou trois heures du matin. Il fallait aussi qu’il y ait toujours quelqu’un dans la ferme, sinon dès qu’on partait, il y avait des zadistes dedans ». Un jour, Serge Durand est tombé sur un zadiste cagoulé dans son atelier, alors qu’il était dehors à trier la ferraille.

Lorsqu’il a déménagé, c’était un peu dans la précipitation – des outils qui lui appartiennent sont restés dans la maison. Peu avant, en janvier 2013, les agriculteurs du secteur s’étaient regroupés pour sortir son foin d’un autre hangar, à Saint-Antoine, rendu inaccessible par les barricades des zadistes : « on avait fait un convoi d’une vingtaine de tracteurs, c’était en pleine opération César, tout était barricadé », se souvient l’un des participants. « Les zadistes étaient là, Fresneau et Bouligand leur avaient dit de nous laisser passer. On n’a pas été embêtés, même si dans le hangar, il manquait 40 à 50 roundballers qui devaient y être. Les zadistes les avaient mis dans les barricades tout autour ».

Installé aujourd’hui au nord du département, Serge Durand a essayé de tourner la page et a fini par prendre sa retraite, après avoir travaillé encore un an et demi au service de remplacement des fermiers de Blain. Il ne s’est pas réinstallé. Cependant, le poids des injustices faites au nom de la lutte par les zadistes et certains paysans pèse à Notre-Dame des Landes : « il faut bien se rendre compte que peu des paysans les soutiennent », nous explique un agriculteur, « et que ceux qui le font sont très isolés. Nous on n’a pas accueilli les zadistes, on nous les a imposés et tous le savent ».

Les paysans portent aussi le poids de leurs abandons. « Peut-être que si on avait été tous à soutenir Serge [Durand] ou Guy [Lamisse] quand le premier s’est fait brûler son hangar et le second saccager ses maisons, on n’en serait pas là », reconnaît un agriculteur installé depuis plusieurs générations. « Il y a eu de nombreux agriculteurs qui se sont faits emmerder, couper des clôtures y compris jusque dans le bourg de Notre-Dame, juste parce qu’ils étaient contre le principe même des clôtures ou qu’ils voulaient passer ».

Deux comités de négociation sont prévus les 12 et 19 mars, sous l’égide de la Chambre d’Agriculture, puis de la Préfecture et d’autres acteurs publics. Ils doivent établir le partage des terres, entre exploitations pré-existantes et projets soutenus par les zadistes et la Confédération paysanne (et ses satellites comme GAB 44 ou Copain44). Les rendez-vous s’annoncent tendus. « En ce moment, les zadistes se fichent sur la gueule entre ceux qui sont pour les négos et ceux qui les refusent ». Et avec la question des terres, « ça va être très tendu. Il y aura du bordel et ça risque de finir très mal », prévient un agriculteur.

Emilie Lambert

Crédit photo : breizh-info.com
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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