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Charles Onana sur l’Opération Turquoise au Rwanda : « Paul Kagame a voulu diaboliser les Français pour masquer ses crimes »

Charles Onana est chercheur, diplômé de l’université de la Sorbonne et docteur en science politique de l’université de Lyon 3.

Il est l’auteur de près d’une vingtaine d’ouvrages dont certains sur les questions de politique internationale, de politique étrangère française ou de relations franco-africaines. S’agissant du Rwanda et de la République Démocratique du Congo, il a consacré plus de dix années de sa vie à faire des recherches sur les guerres violentes qui ravagent ces deux pays africains depuis 1994. Il a pu consulter de nombreuses archives en France ( Élysée, ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de la Coopération ), aux États-Unis et aux Nations Unies, avant d’écrire ses ouvrages.

Il a également interrogé plusieurs personnalités de premier plan dont le procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, l’envoyée spéciale du président Bill Clinton dans la région des Grands lacs, l’ambassadeur de France aux Nations Unis et bien d’autres…

Son livre, publié chez l’Artilleur (éditions du Toucan), et intitulé Rwanda, la vérité sur l’Opération Turquoise, analyse profonde et bien documentée de cette région agitée.

Nous l’avons interrogé à ce sujet.

Rwanda, la vérité sur l’Opération Turquoise – Charles Onana – L’Artilleur

Breizh-info.com : Est-ce votre histoire personnelle qui vous a amené à vous intéresser à ce qu’il s’est passé au Rwanda ?

Charles Onana :  Pas du tout. Je n’ai absolument rien à voir avec le Rwanda. J’étais surpris de constater que l’attentat qui avait provoqué la mort de deux chefs d’État africains en 1994 (les présidents du Rwanda et du Burundi) ainsi que les membres français de l’équipage et qui est considéré par l’ONU comme « l’événement déclencheur du génocide » ne faisait l’objet d’aucune investigation.

Ce n’est qu’en 1997, lorsque les veuves des pilotes français tués dans cet attentat ont saisi la justice française et que l’enquête fut confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière que l’on a commencé à parler de cet acte terroriste. Mon premier livre sur le Rwanda est d’ailleurs consacré à cette affaire très sensible où trois Français et deux chefs d’État furent lâchement assassinés.

Breizh-info.com : Quelles sont les découvertes essentielles que vous expliquez dans votre ouvrage ?

Charles Onana :  Tout d’abord, j’ai découverts que c’est l’actuel président du Rwanda Paul Kagame qui porte la plus lourde responsabilité dans cet attentat mais comme il était et reste soutenu par les États-Unis et la Grande-Bretagne, tout le monde a préféré se taire. Je rappelle qu’il avait déposé une plainte en diffamation contre moi en 2002 devant la 17ème chambre à Paris et qu’il a préféré la retirer quand j’ai remis des éléments attestant de son implication dans cet acte au magistrat.

Ensuite, pour mieux dissimuler sa responsabilité dans cet attentat, il s’est mis à accuser la France et surtout les militaires français de l’opération Turquoise prétendant que ces derniers auraient participé au génocide ou qu’ils auraient livré des armes aux génocidaires, et tuti quanti. Toutes ces accusations sont évidemment fausses.

Enfin, j’ai retrouvé une masse de documents au Conseil de sécurité de l’ONU prouvant que les rebelles de Paul Kagame avaient exterminé des populations en 1994 au Rwanda et ont empêché la communauté internationale d’intervenir pour arrêter les massacres. J’ai été bouleversé en découvrant ces documents. En fait, la stratégie de l’actuel régime rwandais est simple : diaboliser les Français afin que les militaires de l’Opération Turquoise qui ont vu les crimes commis par ses troupes ne racontent pas ce qu’ils savent.

Pour cela, il a mis en place un vaste réseau, sur le territoire français, de journalistes, de chercheurs et de militants de gauche comme de droite chargés d’attaquer, dans les médias français, tous ceux qui osent dénoncer les crimes de Paul Kagame et de ses troupes au Rwanda et en République Démocratique du Congo. Les mêmes troupes ont violé massivement des femmes en République Démocratique du Congo et cela est censuré dans les médias français.

Les « chiens de garde » du régime rwandais accusent systématiquement quiconque pointe ces crimes d’être « négationniste » et le harcèle. Ce qualificatif a pour but de disqualifier, discréditer et réduire au silence toutes voix contraires à celles autorisées par Kagame en France. Ainsi, dans l’Hexagone, certains Français et des associations françaises font le sale boulot contre des militaires français et contre la France, sans se soucier ni des faits ni de la réalité historique. Ce qui compte pour eux, c’est de dénigrer la France pour le compte d’un criminel de guerre et d’un dictateur africain. La question que je me pose est de savoir pourquoi semblent-ils plus préoccupés par les victimes rwandaises que par les victimes françaises dans cette tragédie car il y en a eu mais ces dernières n’intéressent que peu de personnes. C’est curieux !

Breizh-info.com : La France a-t-elle collaboré, d’une façon ou d’une autre, au génocide comme l’en accusent le régime Rwandais ?

Charles Onana : Primo, les Français se souviennent qu’en 1994, c’était la cohabitation. Le Premier ministre Edouard Balladur était hostile à la poursuite de la politique de François Mitterrand au Rwanda. Il a donc posé des règles très strictes aux militaires qui intervenaient dans le cadre de l’opération Turquoise. Aucun de ces militaires ne pouvait sortir du mandat de l’ONU et des directives du gouvernement français.

Secundo, revenons à la politique du président Mitterrand entre 1990 et 1993 avant la cohabitation. C’est la France qui, tout en soutenant le régime hutu que Paul Kagame voulait renverser, a exigé que ce régime ouvre des pourparlers avec les rebelles tutsi et Kagame. Cela a été fait et les rebelles ont adressé une lettre de remerciement à la France pour sa contribution à l’ouverture démocratique au Rwanda. Ma première question est donc la suivante : pourquoi Kagame et son mouvement ont-ils accepté et signé des accords de paix en 1993 avec le régime hutu puisqu’ils prétendent que la France préparait avec celui-ci un génocide au Rwanda ? Deuxième question : pourquoi ont-ils rédigé et envoyé une lettre de remerciement à François Mitterrand s’ils savaient que celui-ci soutenait un régime génocidaire ? Troisième question : pourquoi Kagame et son régime n’ont-ils pas produit devant le Tribunal Pénal international pour le Rwanda (TPIR) et tout au long des procès des preuves du plan de génocide auquel la France aurait pris part ? J’ai constaté qu’il y a une part d’ombre dans ces accusations contre la France et qu’aucune de ces accusations ne tient sur les deux jambes. Elles sont toutes boiteuses, chancelantes, fragiles voire mensongères.

Breizh-info.com : Comment avez vous mené à bien votre enquête ? Avez vous rencontré des obstacles, si oui lesquels ?

Breizh-info.com : Mon enquête et mes travaux de recherches ont été longs et fastidieux car il fallait fouiller, examiner dans le détail, confronter et vérifier toutes les accusations contre l’Opération Turquoise entre 1994 et 2014. L’obstacle principale était l’immensité du travail. Comment savoir si tout ce qui est dit depuis vingt-cinq ans est vrai ou faux ? Sur le plan méthodologique, mon hypothèse de départ a été de considérer que tout était vrai mais il fallait en avoir la preuve. J’ai donc commencé à chercher à identifier les preuves et les sources des accusateurs. Au fur et à mesure que j’avançais, tout s’effilochait, rien ne tenait. Au final, j’ai constaté que tout ou presque était faux. La France est donc victime de fausses accusations sur le Rwanda depuis plus de deux décennies et c’est très troublant car les dirigeants français semblent s’accommoder de cette situation.

Breizh-info.com : Qu’avez vous pensé du rapport de l’africaniste Bernard Lugan sorti récemment à ce sujet ?

Breizh-info.com : Bernard Lugan est, sur le dossier du Rwanda, l’un des rares historiens et scientifiques français à être honnête et précis. Je ne dirais pas la même chose de beaucoup parmi ceux qui s’agitent dans les médias. Je crois surtout que la recherche scientifique en Europe sur la tragédie du Rwanda est fortement atteinte par l’idéologie du génocide à tel point que l’on refuse d’examiner les causes principales de cette tragédie, en particulier la dimension politique et militaire. Il faut pourtant revenir à cet aspect fondateur si l’on veut comprendre ce qu’il s’est réellement passé en 1994 dans cette région.

Breizh-info.com : Vous soulignez également la méconnaissance du Rwanda par les journalistes français qui ont évoqué l’opération turquoise. Comment l’expliquez-vous ? Quelles conséquences sur l’opinion en France ?

Breizh-info.com : Je pointe la légèreté des journalistes qui accusent indéfiniment les militaires de l’opération Turquoise ainsi que le manque de rigueur qui se dégage de leur travail mais je suis dans le même temps indulgent à leur égard, surtout pour ceux qui agissent de bonne foi. C’est un dossier complexe, qui demande beaucoup de travail et de temps. En général, les journalistes n’ont pas assez de temps à consacrer à ce type de sujet. Ils reprennent donc ce que disent certaines associations proches de Kigali sans rien vérifier. En outre, très peux maîtrisent les questions géopolitiques relatives à cette région des Grands lacs africains. Et d’autres, plus indépendants et plus rigoureux peuvent perdre leur poste s’ils se montraient très critiques envers la version officielle.

La conséquence de tout cela est que les Français ne sont pas correctement informés et la majorité, à force d’entendre partout les mêmes accusations non contredites, finit par croire qu’elles sont vraies. Le travail de remise en question et d’analyse critique est pour cela indispensable. C’est ce que feu Pierre Péan avait commencé à réaliser et qui lui avait valu des attaques d’une rare violence par certaines associations françaises proches du dictateur rwandais Paul Kagame. Il est donc important de savoir que ceux qui sont en général qualifiés dans ce dossiers de « négationnistes » sont non seulement ceux qui posent les bonnes questions mais aussi ceux qui rejettent les accusations invérifiables contre les militaires français de l’Opération Turquoise.

Propos recueillis par YV

Photo : DR
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