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Déconfinons par le droit, avec Maître Samson

Il y a des avocats qui se mobilisent actuellement en France, contre les abus policiers lors du « contrôle des confinés », mais aussi par rapport au déconfinement à venir. C’est le cas de Maître Samson, qui explique sur sa page facebook comment déconfiner, par le droit français, tout simplement.

L’interdiction (et la sanction de la violation) de vous déplacer, c’est à dire d’aller d’un point à un autre librement, résulte de trois textes : les articles 3131-15 & 3136-1 du code de la santé publique (issus de la loi 2020-290 sur l’urgence sanitaire du 23 mars 2020) et surtout l’article 3 du décret 2020-293 du 23 mars 2020 modifié à différentes reprises.

Voici quelques passages de ces textes :

L. 3131-15 CSP : «Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :
(…)
2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé»

L. 3136-1 CSP : «Le fait de ne pas respecter les réquisitions prévues aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 € d’amende.
« La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire prévue à l’article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
Si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général, selon les modalités prévues à l’article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code, et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule».

Article 3, décret 2020-293 du 23 mars 2020
«I. – Jusqu’au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes :
1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;
2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l’article 8 du présent décret ;
3° Déplacements pour motifs de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ;
4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ;
5° Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ;
(…)
II. – Les personnes souhaitant bénéficier de l’une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions»

Je ne discuterai pas ici du caractère manifestement contraire (inconstitutionnel, anti-conventionnel ou illégal) de ces textes par rapport à des normes qui leur sont supérieures, et notamment les articles 2 & 4 DDHC 1789, 6 CEDH et 34 de la constitution de 1958 ; ces irrégularités sont tellement flagrantes qu’elles seront soulevées par de nombreux juristes et donneront lieu à un contentieux abondant, qui aura le mérite de mesurer le degré d’impartialité réelle de nos hautes juridictions. Bref, sur cette question, nous attendrons les décisions à venir avec intérêt.

Reste que, dans notre vie de tous les jours, il faut bien vivre avec ces textes qui existent dans le droit positif, un peu comme lors de certaines époques dans notre histoire où des textes très contraignants ont été édictés dans des circonstances exceptionnelles et qu’il a bien fallu subir, in concreto.

Puisque l’on entend nous priver d’une de nos libertés les plus essentielles et que l’on entend nous appliquer du droit pénal si nous désobéissons, faisons application stricte de ces textes.

Quelques observation et réponse aux questions posées par l’article 3 du décret 2020-2093 du 23 mars 2020 :

Pour le cas n°1 :

– Il est autorisé d’aller et venir librement sur le «trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle», le texte ne précisant absolument pas, au contraire du modèle de l’attestation proposé par le ministère, que ce déplacement soit «indispensable à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail» . Ce qui veut dire que dès l’instant ou vous vous situez physiquement sur un trajet situé entre les deux points domicile (lieu que vous fixez librement à votre choix, et que vous pouvez évidemment modifier comme bon vous semble) /lieu de travail, vous êtes nécessairement dans votre droit et vous n’avez en aucun cas à justifier le pourquoi de ce déplacement. L’agent qui contrôle n’a aucun pouvoir d’appréciation sur la nature du déplacement et sur la nécessité professionnelle. Du moment que vous fournissez la preuve du lieu de domicile ou résidence et du lieu d’exercice de l’activité professionnelle, le déplacement est justifié.

Toujours dans le cas n°1, il est possible d’effectuer un «déplacement professionnel insusceptible d’être différé» : cette notion est extrêmement large puisqu’elle permet d’aller n’importe où, à partir du moment ou une notion professionnelle peut être invoquée (rendez-vous chez un client, course pour l’employeur, livraison d’un bien quelconque, prise en charge d’un objet pour l’entreprise, entretien d’embauche, etc) ; l’agent n’est en aucun cas juge de la notion de ce qui peut être différé ou non, seule doit exister la cause professionnelle, qui peut donc être particulièrement large.

– Pour le cas n°2 : il s’agit de permettre d’effectuer des achats pour l’exercice de la profession ou «de première nécessité», notions extrêmement larges, puisque à peu près tout peut constituer un «achat pour l’exercice de la profession» (qui n’a jamais besoin d’un crayon pour travailler) ou un «achat de première nécessité» (d’un certain point de vue un sac de clous peut présenter ce caractère). Mais surtout, ce que précise le texte est que ces achats doivent s’effectuer «dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l’article 8 du présent décret».

Dans la mesure où un agent n’est en aucun cas juge de la nature de l’achat que vous allez effectuer (d’autant que vous pouvez changer d’avis à tout moment), il faut en déduire que dès l’instant où vous rendez dans un commerce ouvert légalement selon la liste de l’article 8 du décret, vous êtes dans votre droit.

En outre, ce même texte ne donne aucune précision de distance ce qui indique que vous pouvez effectuer votre achat n’importe où, dans la mesure ou le commerce dans lequel vous vous rendez est autorité à être ouvert. Je peux ainsi me déplacer assez librement dans les heures ouvrables des commerces, puisque, à chaque instant, je peux décider d’aller acheter tel ou tel bien à tel ou tel endroit, qui va changer instantanément au fur et à mesure de mon déplacement et surtout au moment exact ou quelqu’un me demandera de justifier ce déplacement.

Dans toutes circonstances, j’irai toujours dans tel commerce (ouvert en application de l’article 8 précité), pour y acheter tel bien (donc nécessairement de «première nécessité») ; l’agent n’étant pas juge de la nature du bien acheté ni de la distance à laquelle je vais faire mes emplettes, le rayon d’action de mes courses est ainsi particulièrement large.

Précisons d’ailleurs qu’aller à la pharmacie (n’importe laquelle, le texte ne donne pas de précision à ce sujet) est toujours justifié, en application des cas n°2 et 3° du texte.

– Le cas n°4 est le plus «fourre-tout» puisqu’il autorise le déplacement pour «motif familial impérieux» : seule la limite de l’imagination constitue les bornes de ce motif. Tout peut être un «motif familial impérieux» et dans la mesure où un agent n’est en aucun cas juge du caractère impérieux ou non et doit simplement constater l’existence d’un motif que vous estimez impérieux, ce motif est relativement open bar pour faire une bonne application de l’article 3 de notre décret.

– Assez paradoxalement, le cas n°5 est celui qui est le plus encadré et donc finalement celui qui se rapproche plus de la notion de légalité du texte, notamment au regard de l’article 34 de la constitution de 1958. En revanche, dans le cadre de ce qu’il autorise, vous pouvez vous déplacer librement dans le rayon d’un kilomètre autour du lieu de résidence pendant une heure par jour, que se soit à pieds en voiture à cheval ou en hélicoptère, il n’existe aucune contrainte sur le mode d’exercice de la «promenade» autorisée.

– Un agent peut-il vous contraindre à faire «demi-tour» ? non, évidemment que non. En aucun cas un agent n’a de pouvoir de contrainte physique (pas de coercition) en matière de contravention. S’il estime qu’une contravention a été commise, il peut verbaliser, c’est à dire dresser un procès-verbal (que vous recevrez ensuite par la poste) mais il ne peut en aucun cas vous donner une instruction portant atteinte à votre droit d’aller et venir. Si vous estimez être dans votre droit et que lui estime que non, il ne peut que verbaliser et soumettre ce différent au juge qui décidera, in fine, qui était dans son bon droit. Vous pouvez donc librement continuez votre chemin et toute tentative pour vous en empêcher serait constitutive de plusieurs délits découlant de l’abus d’autorité (notamment punis par l’article 432-1 du code pénal) ; précisons enfin que la contravention de non-respect de confinement est une infraction continue, qui se réalise dès que vous mettez le pied dehors jusqu’à ce que vous remettiez votre pied dedans. Dans cet intervalle, il s’agit d’une seule et même contravention qui ne peut donc être verbalisée plusieurs fois. Il y aura donc une seule verbalisation par déplacement jugé injustifié, et il n’est pas possible de vous verbaliser tous les 10 cm de votre progression.

– On notera que le texte du décret ne prévoit absolument pas la possession d’une quelconque attestation. Il n’est ainsi pas possible d’être verbalisation pour défaut d’attestation ou même pour « attestation non valable» puisque cette «attestation» n’est pré »vue par aucun texte et encore moins la forme d’une telle «attestation». La seule existence du texte est d’être muni d’un «document» permettant de constater que son porteur est dans un des cas d’exception listé par le texte. Est ainsi parfaitement recevable n’importe quel «document».

Une liste de courses, une ordonnance, un avis de livraison en point relai, vont prouver le déplacement pour faire un achat (cas n°2 & 3)

Une lettre, mail, ou déclaration sur papier-libre peuvent établir l’existence du «motif familial impérieux» (cas n°4).

La fameuse attestation, même si totalement facultative, peut en revanche constituer à bon droit le «document» exigé par le texte, notamment dans les cas où aucun document ne peut exister (notamment cas n° 4 & 5) ; dans ce cas, cette attestation ne peut jamais être «non valable» puisqu’elle n’obéit à aucune règles de forme. Elle peut donc comporter plusieurs motifs, voir tous, être raturée, comporter plusieurs dates, plusieurs heures, signée ou non…

– Que penser de l’augmentation de l’amende en cas de récidive (ou de « réitération») ou du délit qui découle de quatre verbalisation sous 30 jours (alinéa 4 de l’article L. 3136-1 CSP) ?

En fait, ces infractions sont structurellement impossibles. Il n’y a pas de cas où elles peuvent exister en droit, par simple application des principes les plus essentiels du droit pénal. Le débat est tout de même assez technique, et je peux comprendre que les choses ne sont pas simples à comprendre pour les non spécialistes.

Une première verbalisation est une amende forfaitaire de quatrième classe (135 €), laquelle est exclusive des règles de la récidive (article 529 CPP), ce qui pose déjà une première difficulté juridique pour que la seconde violation engendre un effet d’aggravation de type récidive, mais oublions cette première entorse.

Le texte nous dit que les «violations» suivantes deviendront pour la seconde une contravention de 5ème classe (donc qui devra être jugée par le Tribunal de police et ne pourra être forfaitarisée) et que la 4ème deviendra un délit (donc jugée par le tribunal correctionnel).

Mais pour qu’une «violation» existe au sens pénal du terme, il faut que le mécanisme pénal d’existence de l’infraction soit intervenu, c’est à dire qu’il faut que le délai légal de 45 jours pour la première contravention soit expiré et que l’intéressé n’ai pas formulé de contestation.

Si nous sommes toujours dans le délai de 45 jours, ou que l’intéressé a formulé une contestation, la violation n’a aucune existence par définition puisque, en vertu du principe de la présomption d’innocence, l’intéressé est présumé n’avoir pas commis cette violation. On ne parle donc même pas de la règle de la récidive, qui implique l’existence d’un premier terme (donc une décision de condamnation définitive par un tribunal et non le paiement d’une amende forfaitaire qui n’établit pas la réalité d’une infraction pénale mais seulement engendre l’extinction de l’action publique), mais bel et bien de l’existence même de la «violation» qui ne peut intervenir tant que l’intéressé est présumé innocent.

Ainsi, après la constatation d’une première contravention, et ce pendant 45 jours, tout verbalisé est présumé n’avoir pas commis cette violation. Il est donc impossible de considérer que le lendemain, lorsque le même intéressé est à nouveau verbalisé pour les mêmes faits, il a commis une seconde violation puisque la première est présumée en droit pénal n’avoir pas eu lieu.

C’est en raison de ce mécanisme qui est le plus fondamental en droit pénal (la présomption d’innocence) que la «réitération» de faits ne peut jamais être la cause d’une aggravation de la peine encourue, le contraire revenant d’une part à nier la présomption d’innocence et surtout à priver l’intéressé de la protection du contrôle du juge par rapport à l’action du verbalisateur, et donc de l’expression même du droit au procès équitable au sens de l’article 6 CEDH.

Pour donner un exemple : je passe tous les matins à la même heure au même carrefour devant le même agent verbalisateur qui va me verbaliser car il estime qu’il s’agit d’un STOP tandis que moi j’estime qu’il s’agit d’un signal «cédez le passage». Seul le juge judiciaire peut nous départager puisque mon avis sur la nature du signal a strictement la même valeur que celui de cet agent. Le juge va ainsi se saisir de notre différent et statuer au décours d’une procédure judiciaire contradictoire, dans le cadre de laquelle je pourrai faire valoir mon point de vue et le parquet le sien, le tout dans le respect du procès pénal équitable au sens de l’article 6 CEDH. Et c’est seulement à l’issue de ce processus juridique que l’on pourra savoir si j’ai commis ou non 10, 15, 20 contraventions de franchissement de STOP.

Mais considérer que j’ai commis deux infractions l’une derrière l’autre de franchissement de STOP seulement sur la base de l’avis de cet agent et en tirer une conséquence d’aggravation de la seconde peine, reviens à violer le double principe du droit au procès équitable et de la présomption d’innocence.

C’est pour ces raisons que le texte de l’article L. 3136-1 CSP est manifestement contraire à l’article 34 de la constitution de 58 et à l’article 6 CEDH ; le Conseil Constitutionnel, s’il ne tombe pas dans le piège du politiquement correct/complice avec le gouvernement en place, piège diablement dangereux en matière de crise sanitaire où la fin a bien envie de justifier les moyens, devrait censurer sans problème cet article fort mal rédigé.

Voilà ce que l’on peut dire de ce très maladroit et illégal régime de confinement que les pouvoirs publics ont voulu imposer à la population de France.

Illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine 
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