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Première guerre mondiale. 5 fois plus de Bretons morts en 14-18 que de tirailleurs africains !

27 000 poilus des Côtes d’Armor sont morts pour la France entre 1914 et 1918. C’est davantage que tous les soldats issus de l’Afrique noire française, correspondant à 12 pays africains actuels. A l’échelle des 5 départements, ce sont 593 000 Bretons qui ont été appelés pour l’effort de guerre, soit un niveau équivalent aux 566 000 soldats mobilisés dans la totalité des colonies françaises, y compris celles d’Asie. Les Bretons ont aussi plus souffert du conflit : 125 000 sont restés sur le carreau, contre 71 000 de leurs frères d’arme coloniaux.

C’est un fait établi depuis 1931 par le statisticien Michel Huber : le taux de perte a été significativement moins élevé chez les colonisés que chez les blancs : 12,6 % pour les premiers, contre 17,1 % pour la population métropolitaine, avec un record absolu pour les Bretons : 21,2 % de sacrifiés.

Privilège blanc d’aller au casse-pipe

Une telle disproportion, au détriment des ruraux de la métropole, obéit d’abord à des contraintes logistiques objectives, qui influent sur l’exposition au combat des différents régiments. La race ne joue pas en première analyse : il est ainsi remarquable que les Français d’Algérie aient un taux de perte à peine supérieur aux musulmans d’Afrique du Nord (14,3 contre 13,3%).

Les peuples coloniaux sont entrés plus lentement dans la guerre. C’est seulement après 1916 que les arrivé)es en métropole sont significatives : 127 000 tirailleurs de l’Afrique occidentale française (AOF) sur 165 000 sont mobilisés après cette date ; l’année de plus grand recrutement est 1918, avec 63 000 enrôlements. Une partie importante de ces recrues de 1918 n’ont pas terminé leur entraînement au moment où sonne l’Armistice…

A partir de 1915, les combattants noirs ont de plus droit à « l’hivernage », c’est-à-dire à leur mise à l’abri à l’arrière du front, de novembre à mars. Il s’agissait pour le commandement de prévenir une explosion des maladies liées au choc climatique ressenti.

Exposés moins longtemps aux combats, les colonisés le sont aussi géographiquement. Michel Huber estime que 151 000 soldats coloniaux (sur 566 000) n’ont jamais mis les pieds en métropole. Une partie des troupes d’Afrique du nord est ainsi restée sur place pour « pacifier » les montagnes berbères du Maroc ou pour protéger les frontières tunisiennes contre les Libyens ralliés aux Turcs. Il s’agit là de théâtres d’opération secondaires, beaucoup moins risqués que les tranchées du nord de la France…

Les plus éloignés de la métropole sont globalement les moins touchés : le contingent indochinois n’affiche que 7,4 % de pertes, chiffre qui se comprend ainsi : sur 49 000, seuls 5000 iront en première ligne, la grande majorité des autres étant affectés par l’état-major à la logistique, sur les arrières.

Avec 8,5 % de pertes, les Antillais, les Réunionnais et les îliens du Pacifique sont dans une situation semi-coloniale  : s’ils sont pleinement citoyens français en 1914, leurs territoires ne sont alors pas des départements comme les autres.

Ce dernier exemple montre que la logistique militaire n’explique pas sans doute tout. La surexposition des blancs obéit très probablement aussi à des considérations politiques inavouées. Cela devient évident quand on ne regarde plus seulement le taux de pertes, mais aussi le taux de mobilisation.

Dans l’armée de Marianne, 135 000 esclaves affranchis

Alors que les familles françaises devaient donner tout à l’armée, l’empire a été objectivement ménagé, entre autres pour ne pas créer de troubles supplémentaires. Les objectifs de mobilisation édictés par Clemenceau, le plus antiraciste des dirigeants de l’époque, sont restés prudents et ne dépasseront pas 1 % de la population coloniale, contre 19 % pour la population française.

Pas de conscription générale comme en métropole, mais un système de quotas ciblés, mélangeant réquisitions et incitations au volontariat. Ceux qui viennent d’eux-mêmes au service militaire bénéficient d’une prime à l’engagement (200 francs, soit environ 600 euros actuels) et reçoivent ensuite une solde jusqu’à 4,5 fois supérieure aux troufions blancs de base. Des sommes non négligeables pour des territoires où le coût de la vie était bas.

Attirés par ces conditions, environ 7 % des soldats sub-sahariens seront volontaires, proportion encore plus importante chez les Maghrébins : environ 90 000 sur les 170 000 soldats musulmans algériens auront décidé de s’engager entre 1914 et 1918.

La carrière militaire était loin de rebuter les Africains, notamment ceux du Sahel : avant l’arrivée des Français, encore toute fraîche, la guerre y avait été endémique. On se razziait entre tribus et on s’asservissait entre voisins : 30 à 50 % des noirs étaient encore esclaves d’autres noirs, au moment où la IIIème République entreprend la conquête des royaumes esclavagistes de l’intérieur des terres (vers 1880-1890).

C’est cette masse d’anciens parias qui va remplir les bataillons coloniaux, les esclaves affranchis formant jusqu’à 75 % des rangs des tirailleurs africains ! En partant vers les tranchées, ils n’emportaient pas de regret pour le temps d’avant, mais pourquoi pas l’idée d’une dette d’honneur à payer à la République française…

L’image misérabiliste du combattant africain, raflé au lasso et ne comprenant rien à ce qui lui arrive, doit en tout cas être nuancée. En 1918, le démobilisé colonial retourne au village non seulement comme un vainqueur, mais comme un gagnant : formant une élite avec ses camarades, il accède à la petite classe moyenne indigène qui se développe après-guerre et qui passe de 2 à 10 % de la population noire.

Quant au paysan breton, perdu parmi les innombrables conscrits de sa génération, il s’en revient Gros-Jean comme devant.

Enora

Origine des soldats

Population

Nombre de mobilisés

% de mobilisés par rapport à la population

Nombre de morts

% de pertes par rapport aux soldats mobilisés

% de pertes par rapport à la population

Français de métropole

45 181 287

7 726 000

19,4

1 325 000

17,1

2,9

Bretons 5 départements

3 371 000

593 000

17,6

125 000

21,1

3,7

Français d’Algérie et de Tunisie

« Pieds-Noirs »

618 868

164 000

26,5

24 000

14,3

3,9

Français d’ Outre-Mer Guadeloupe, Martinique, Réunion, Nouvelle-Calédonie, Polynésie

628 000

38 424

6,1

3 262

8,5

0,5

Indigènes des colonies françaises

56 600 000

566 000

1

71 000

12,6

0,1

Maghrébins (Algérie, Tunisie, Maroc)

11 835 317

294 000

2,5

39 000

13,3

0,3

Africains sub-sahariens (AOF-AEF)

20 000 000

182 000

0,9

25 200

13,8

0,1

Indochinois (Vietnam, Cambodge, Laos)

24 500 000

49 000

0,2

4 000

7,4

0,02

Malgaches

3 416 667

41 000

1,2

4 000

9,5

0,1

Sources 

– Tableau d’après Michel Huber (1931), cité par Denis Cogneau, « Un empire bon marché », 2023

– Marc Michel, « Les Africains dans la Grande Guerre », 2003, cité aussi par Cogneau qui fournit d’autres chiffres

– Eric Deroo et Antoine Champeaux, « Panorama des troupes coloniales françaises dans les deux guerres mondiales », 2013, disponible en ligne

Illustration : DR
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2 réponses à “Première guerre mondiale. 5 fois plus de Bretons morts en 14-18 que de tirailleurs africains !”

  1. Victor Ariole dit :

    Tres interessant. Mais que faire pour abolir les guerres dans le monde

  2. Le guen dit :

    Les gouvernements de l’époque étaient encore, pour certains de leur membres dans une culture post 1789 où les bretons étaient avant tout des chouans, hostiles à la république, donc potentiellement « dangereux ». Le demi million de morts n’était qu’un détail. Il n’empêche que cette perte de forces vives à fortement pesé sur le développement économique de la Bretagne pendant des décennies. Si ces milliers de morts n’étaient pas prévus, organisés, au départ, je ne m’interdis pas de penser que d’aucuns y vont vu l’opportunité de réguler d’une certaine façon un peuple réfractaire. Car pourquoi plus de bretons que d’alsaciens,de lorrains,d’ardennais et d’autres régions plus proches de la frontière allemande?

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