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Un collectif d’avocats dénonce l’interdiction de l’instruction en famille (IEF), « nouvelle atteinte injustifiée à nos libertés »

Le journal Valeurs actuelles rapporte qu’un collectif de 20 avocats emmenés par Hubert Veauvy, avocat au barreau de Nantes, dénonce dans cette tribune l’interdiction de l’instruction à domicile qu’Emmanuel Macron souhaite imposer dans le cadre du projet de loi de lutte contre les séparatismes.

Voici le texte ci-dessous :

Le 2 octobre dernier, dans le cadre de son discours sur la lutte contre les séparatismes, le Président de la République avait dressé, de l’instruction à domicile, un tableau apocalyptique : « 50 000 enfants suivent l’instruction à domicile. Chaque jour des recteurs découvrent des enfants totalement hors système. Chaque semaine des préfets ferment des écoles illégales, souvent administrées par des extrémistes religieux. »

C’est ainsi qu’il concluait : « Face à ces dérives qui excluent des milliers d’enfants de l’éducation à la citoyenneté, de l’accès à la culture, à notre Histoire, à nos valeurs, à l’expérience de l’altérité qui est le cœur de l’école républicaine, j’ai pris une décision : dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera rendue obligatoire pour tous dès trois ans. L’instruction à domicile étant strictement limitée aux impératifs de santé. »

En établissant un lien entre l’instruction à domicile, les enfants déscolarisés et les écoles administrées par des extrémistes religieux, le président de la République avait scandalisé les familles concernées.

Une accusation de radicalisation sans fondements

D’une part, l’accusation de radicalisation religieuse était particulièrement diffamatoire. Le rapport de la Commission d’enquête du Sénat sur la radicalisation islamiste déposé en juillet dernier n’avait pu constater aucun lien entre la scolarisation à domicile et la propagation de l’islamisme radical. Le vade mecum d’octobre 2020 du ministère de l’Education Nationale sur l’instruction à domicile constatait que « Les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels. »

D’autre part, une confusion manifeste était opérée entre la déscolarisation et l’instruction à domicile. Dans le cadre juridique actuel, les enfants instruits à domicile ne sont aucunement « hors système » : chacun doit faire l’objet d’une déclaration au maire et au rectorat et est soumis, dès la première année, et tous les deux ans, à une enquête municipale permettant de vérifier si l’instruction est compatible avec son état de santé et les conditions de vie familiale. La loi exige désormais des contrôles annuels pour vérifier l’acquisition du socle commun de connaissance qui inclut « la maîtrise de la langue française », ainsi qu’une « culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ». Les connaissances acquises doivent correspondre à celles attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement.

« Chaque enfant doit pouvoir étudier dans le cadre qui lui convient le mieux »

Depuis la loi du 28 juillet 2019 dite « pour une école de la confiance », dans le cas de résultats insuffisants, les parents peuvent être mis en demeure d’inscrire leur enfant dans l’établissement scolaire public ou privé de leur choix sous peine d’une sanction pénale de 6 mois de prison et de 7 500 euros d’amende. 55 000 enfants sont scolarisés en famille ; environ 55 % sont inscrits au CNED et des milliers d’autres dans des cours privés d’un niveau exigeant tels que l’Hattemer Accademy, le cours Legendre, le cours PI ou le cours Sainte-Anne, et aucune étude n’a jamais démontré qu’en France, ces enfants s’en trouveraient désocialisés. Isabelle Filliozat, psychothérapeute renommée, déclarait à ce propos : « Chaque enfant doit pouvoir étudier dans le cadre qui lui convient le mieux. Nombre d’enfants ne sont pas heureux à l’école et ils apprennent plus efficacement quand ils sont libres de travailler à leur rythme. L’instruction en famille forme des enfants passionnés, à l’aise avec les adultes, autonomes et responsables. Leur esprit civique est souvent manifeste. Les séparatismes sont davantage le fruit de l’exclusion, de l’échec et de la violence éducative que de l’instruction en famille. En tant que psychothérapeute et spécialiste de la parentalité, je soutiens le maintien du droit à l’instruction en famille. »

Malgré la levée de boucliers de tous bords d’intellectuels, de professionnels du droit, de psychologues du monde de l’éducation et les nombreux témoignages des familles concernées, le gouvernement n’a pas abandonné la mesure. Le ministère de l’Éducation nationale a présenté les mesures du projet de loi aux représentants des établissements « hors contrat » et des associations de parents concernées. Ce projet de loi maintient l’interdiction de pratiquer l’école à la maison sauf dérogation selon cinq motifs — médical, handicap, itinérance, sport de haut niveau, et un motif plus large de situation familiale rendant impossible à l’enfant de se rendre à l’école — qui seront précisés par décret.

Le Conseil d’État doit avoir le courage de la cohérence

Le Conseil d’Etat est sur le point de délivrer son avis et la mesure sera présentée avec le projet de loi au Conseil des Ministres le 9 décembre prochain. Face à ce constat, l’alerte doit continuer d’être donnée. Premièrement, nous attendons que le Conseil d’Etat ait le courage de la cohérence.

Dans un arrêt du 19 juillet 2017, n°406150, le Conseil d’Etat rappelait que « Le principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique […] le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille ».

Nous espérons que le Conseil d’Etat rappellera l’atteinte portée à un droit fondamental et délivrera un avis négatif.

Deuxièmement, nous attendons que les parlementaires eux-mêmes aient le courage de la cohérence.

Le 30 janvier 2019, lors des débats parlementaires pour l’examen de la loi « pour une école de la confiance », un amendement avait été déposé par le député Monsieur François Pupponi pour soumettre l’instruction à domicile à autorisation préalable par l’inspecteur d’Académie. Cet amendement a été rejeté par le rapporteur, Madame Anne-Christine Langpar précisément pour ce motif : « Instaurer une autorisation préalable irait à l’encontre du principe de liberté du choix d’inscription. Je rappelle que la liberté de l’enseignement est un principe constitutionnel. »

L’école obligatoire dès trois ans, une contrainte plus lourde que dans aucun autre pays européen

Troisièmement, nous attendons que le Conseil Constitutionnel lui-même soit cohérent.

L’instruction à domicile est en effet une pratique consacrée par la loi de Jules Ferry du 28 mars 1882 : en son article 4, cette loi fondatrice de l’école républicaine précise que l’instruction primaire obligatoire « peut être donnée (…) dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie ». Dans sa lettre du 27 novembre 1883, Jules Ferry n’hésitait pas à dire aux instituteurs qu’ils étaient « l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ».

Le droit à l’instruction à domicile est un corollaire obligé non seulement du principe à valeur constitutionnelle de liberté d’enseignement, mais également de l’exigence d’instruction scolaire obligatoire. L’atteinte portée à la liberté d’enseignement serait d’autant plus lourde qu’elle contraindrait les parents à mettre à l’école leurs enfants dès l’âge de 3 ans, ce qu’aucun autre pays de l’Union Européenne n’exige actuellement : dans les quelques pays, comme l’Espagne, l’Allemagne et la Croatie qui, pour des raisons historiques et culturelles, interdisent l’école à la maison, la scolarisation n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans.

La préservation de la liberté d’enseignement est d’autant plus essentielle que, dans un contexte sanitaire anxiogène, la prolongation de l’état d’urgence sanitaire comporte des restrictions très lourdes à la plupart des libertés publiques : le confinement actuel limite toute possibilité d’organiser des manifestations d’ampleur et des réunions ainsi que de rencontrer les parlementaires. La vie parlementaire elle-même est en pointillée. La vigueur du débat démocratique en est profondément affaiblie et avec elle, la possibilité de contester efficacement une mesure du gouvernement.

En 1984, ce n’est que par une manifestation immense pour l’enseignement privé que le projet de loi Savary a été abandonné. Aujourd’hui, c’est encore impossible. Dans ce contexte, nous appelons donc le Conseil Constitutionnel à censurer cette mesure avec la même rigueur avec laquelle il a censuré l’essentiel de la loi Avia. Il y va de la préservation de notre démocratie.

L’instruction à domicile n’est pas une menace, mais un atout pour la cohésion nationale

Quatrièmement, nous appelons l’Etat à voir l’instruction à domicile, non pas comme une menace, mais comme un atout pour la cohésion nationale de notre pays et la transmission des savoirs. Les parents qui s’engagent dans cette aventure, par l’enseignement qu’ils assurent avec l’aide des organismes dédiés, participent, tout comme l’école, à la lutte contre la diffusion de l’islamisme radical. Ils sont l’exact contrepoint des parents démissionnaires ou dans le rejet de la culture française, qui favorisent la déscolarisation de leurs enfants. Ces parents courageux préviennent également, par leur action, des situations d’échec et de souffrance scolaire, qui, dans le cas de harcèlements, peuvent provoquer de graves dépressions, voir des suicides, dont l’actualité se fait parfois l’écho.

La crise de l’école est profonde : ce serait une grave injustice de décréter, au mépris de la liberté de choix des parents, que l’intérêt supérieur de tous les enfants réside absolument dans la scolarisation et que l’instruction à domicile ne peut être autorisée qu’en cas de force majeure : la liberté doit rester la règle. Plutôt que de dénigrer le rôle des parents, le gouvernement devrait respecter le choix — extraordinairement contraignant et exigeant — des familles qui y ont recours. Des talents parfois exceptionnels en sont le fruit. Sait-on que Jean d’Ormesson, dont le Président de la République a fait l’hommage funèbre, n’est sorti de l’école à la maison qu’en Hypokhâgne à l’âge de 18 ans ?

Pour éviter les rares dérives de l’instruction à domicile, il suffirait que les autorités publiques continuent d’appliquer scrupuleusement le dispositif de contrôle annuel existant, comme se bornait à le demander la commission d’enquête du Sénat. En effet, dans les cas exceptionnels où un risque de radicalisation existerait, il suffit de constater que les enfants ne maîtrisent pas le français et la culture scientifique et humaniste exigée par le socle commun de connaissances pour contraindre les parents de scolariser les enfants concernés.

Après le drame de l’assassinat du Professeur Samuel PATY, l’islamisme radical ne peut nous conduire à limiter, sans motif valable, une de nos libertés les plus précieuses : ce n’est pas une réponse digne d’une démocratie.

Jusqu’où la liberté des citoyens français sera-t-elle muselée ?

C’est par la préservation de la liberté d’enseignement et, au-delà, de la liberté éducative des parents, que nous formerons, dans leur nécessaire diversité, les futurs citoyens dont notre pays a besoin.


Liste des cosignataires : Lionel Devic, avocat aux barreaux de Lyon et Paris, cofondateur et président de la Fondation pour l’école
André Bonnet, avocat au barreau de Marseille, ancien président des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel
Cyrille Dutheil de la Rochère, avocat au Barreau de Versailles, Docteur en Droit
Philippe Couturier, avocat honoraire du barreau de l’Aveyron, ancien bâtonnier
Philippe Marion, avocat au barreau de Paris
Loïc Lerate, avocat au barreau de Paris
Hugues de Poncins, avocat au barreau de Paris
Bernard Rineau, avocat au barreau de Nantes
Laurent Hay, avocat au barreau de Paris
François Chomard, avocat au barreau de Nantes
Geoffroy de Vries, avocat au barreau de Paris
Quentin Paree, avocat au barreau de Nantes
Fabrice Hongre-Boyeldieu, avocat aux barreaux de Versailles et Québec
Cécile Derains, avocat au barreau de Paris
Victoria Hogard, avocat au barreau de Bordeaux
Isabelle Halbique, avocat au barreau de Lyon
Nathalie Deleuze, avocat au barreau de Paris
Tanguy Barthouil, avocat au barreau d’Avignon
Emmanuel Huyghues-Despointes, ancien avocat, enseignant à l’institut catholique d’études supérieures

Des collectifs de défense de l’IEF se mobilisent actuellement partout en France. Vous pouvez notamment en contacter ici

Illustrations : DR
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