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Jean des Cars : « C’est une grave faute de mépriser la Russie et de vouloir lui donner une leçon »

11/11/2015 – 08H00 Paris (Breizh-info.com) – Nous avons relaté récemment le nouvel ouvrage de Jean des Cars, « Nicolas II et Alexandre de Russie, une tragédie impériale », paru aux éditions Perrin. Cette chronique fût l’occasion d’entrer en contact avec l’auteur du livre, journaliste et écrivain de renom, et d’opérer avec lui un retour sur sa bibliographie, mais également de parler de son ouvrage présent, des relations franco-russes, et du rôle actuel du journaliste et de l’historien. Rencontre avec Jean des Cars.

Breizh-info.com : Depuis votre premier ouvrage, L’Orient Express , jusqu’à Nicolas II, une large partie de votre bibliographie et de vos travaux est consacrée aux grandes familles des Empires européens. D’où vous est venu cette passion et cet intérêt ? Parlez-nous de votre dernier ouvrage.

Jean des Cars : Mon premier ouvrage est “Louis II de Bavière ou le Roi foudroyé” ( Perrin, 1975), couronné par l’ Académie française, traduit en plusieurs langues, constamment réédité et dont l’accueil m’a décidé à poursuivre mes recherches historiques en même temps que je continuai mes activités journalistiques.
L’album sur “L’Orient-Express” ne date que de 1984. Je me permets de vous renvoyer à la liste, chronologique, de mes livres, en tête du volume qui vient de paraître. Je m’intéresse principalement au genre de la biographie, c’est à dire à l’histoire humaine dans les évènements politiques, diplomatiques, militaires et sociaux.
Trop longtemps en France – et c’est hélas toujours sinon davantage le cas aujourd’hui- les programmes officiels ont relégué les éléments humains au dernier rang au bénéfice des évènements, des courants, des analyses, ce qui a rendu pénible et fastidieux l’enseignement historique, y compris pour les professeurs.

Le succès des grandes biographies s’explique, largement, par le goût du public intéressé à en savoir davantage sur les hommes et les femmes qui ont été “aux manettes”.
C’est une grave erreur, alimentée par la froideur de l’ Union européenne, de sacrifier ces acteurs de notre passé: les événements ne se produisent pas spontanément, en dehors des catastrophes naturelles. J’ai donc voulu savoir qui étaient ces acteurs et actrices de premier plan ayant décidé ou subi les grandes heures, grandioses ou tragiques, du passé.

Si un homme comme Alain Decaux, à qui je dédie mon dernier livre car pour moi il est mon maître,a eu autant d’audience, c’est bien parce qu’il présentait les hommes et les femmes avant de relater ce qui s’était passé.

Mon livre “Nicolas II et Alexandra de Russie: une tragédie impériale”, fruit d’innombrables voyages en URSS et en Russie, est la première “biographie intime” sur le dernier couple souverain de Russie à partir de documents extraordinaires, d’archives, de témoignages et d’une importante iconographie qui rendent les Romanov plus proches de nous que toutes les autres dynasties au pouvoir avant 1914.
Ils sont ainsi plus humains, dans leurs courages et leurs faiblesses et le lecteur peut les suivre dans leur vie quotidienne.Ils sont débarrassés, chaque fois que c’est possible, du carcan protocolaire et convenu de l’image officielle.

Breizh-info.com : Sur Nicolas II, l’histoire officielle écrite par les marxistes insistait lourdement sur le prétendu dictateur qu’il aurait été. Comme d’autres auteurs, vous rétablissez les faits et retracez son parcours. Que retiendriez vous du dernier Tsar de Russie, de sa famille ? A-t-il été, comme Louis XVI, victime de la folie d’une petite minorité révolutionnaire – et pour le coup en partie étrangère à la Russie – déterminée ?

Jean des Cars :  On peut, en effet, dresser, en partie seulement, un parallèle entre Louis XVI et Nicolas II, à cette réserve près que le tsar, son épouse et leurs enfants étaient perpétuellement dans l’angoisse à cause de l’hémophilie du prince héritier, le tsarévitch. Ce calvaire a faussé le jugement du couple impérial ( mais pas de leurs frères, oncles, cousins, neveux,soeurs, tantes,etc…) qui partagé entre la religion orthodoxe et la volonté d’un bonheur bourgeois est resté coupé du peuple. Nicolas II pensait connaitre le peuple, il ne connaissait et n’aimait que l’armée, ce qui fut une confusion catastrophique.

Nicolas II n’aimait pas la politique ni les politiques et l’influence, exorbitante, de Raspoutine a discrédité le couple impérial, donc le régime. C’est d’autant plus regrettable quand on analyse le chaos russe de la guerre civile et de la dictature qui a suivi pendant près de 70 ans qu’avant 1914, la Russie avait fait des progrès dans bien des domaines, certes inégalement répartis mais ces avancées ( le taux d”analphabètes avait été réduit, par exemple) dans un pays aussi vaste, aussi contrasté, inquiétaient Lénine qui jugeait-avec raison-que seule une guerre longue, perdue, atroce, pourrait balayer le régime tsariste.

Breizh-info.com : L’assassinat de Nicolas II et l’arrivée au pouvoir des bolcheviques, le tout pendant la Première Guerre mondiale, n’est-ce pas l’image même de ce « grand suicide européen » qu’évoquait notamment Dominique Venner, à qui vous aviez accordé une entrevue dans la Nouvelle Revue d’Histoire ?

Jean des Cars : La Première Guerre mondiale ( je l’ai démontré dans mon précédent livre “Le sceptre et le sang”, un  succès de l’hiver dernier) est un gigantesque règlement  de comptes familial puisque tous les souverains impliqués dans le conflit, parfois malgré eux, sont parents ou alliés.

C’est aussi un invraisemblable suicide, en effet, qu’un homme comme le roi Edouard VII  aurait sans doute empêché par sa connaissance des gens en place et sa clairvoyance diplomatique. Après l’attentat de Sarajevo ( 28 juin 1914), je suis certain qu’il aurait fait le tour de l’ Europe pour calmer tout le monde. Hélas, il était mort en 1910…

Breizh-info.com : Vous qui avez en passion les grandes familles qui ont fait l’histoire de l’Europe, que reste-t-il aujourd’hui de cette grandeur ? Que vous inspire la dégradation ces dernières années des relations entre la  Russie et la France à l’initiative essentiellement de cette dernière ?

Jean des Cars :  Aujourd’hui, si l’ Union européenne est un tel échec c’est parce qu’elle est technocratique, monétaire, administrative, financière et ignore gravement les constantes de l’Histoire que, comme disait Napoléon, la Géographie nous rappelle sans cesse. Les monarchies qui ont résisté à deux guerres et aux totalitarismes représentent une sorte d’assurance pour les peuples.

Avec ces régimes, qui sont particulièrement démocratiques et n’ont pas de leçons à recevoir des républiques, l’avenir a un visage et un nom de famille, des prénoms, qui sont garants de stabilité, ce qui est un immense avantage. Et si cela ne fonctionne pas, les révolutions sont faites pour tout remettre en question!

A propos des actuelles relations franco-russes : par la faute de la France, prétentieuse et ignare,qui renie ses engagements et se trompe d’adversaire, la Russie se tournera vers l’ Asie. Les autorités ( ?) françaises oublient que l’effondrement de l’ URSS ( que j’ai vécu) a humilié ce pays.

Depuis, par un redressement spectaculaire et courageux, il tient à reprendre sa place, celle d’un grand pays, un allié qui, entre autres, a sauvé la France en 1914 lors de la bataille de la Marne et a été fidèle à l’ Alliance franco-russe en 1916, notamment, en envoyant un corps expéditionnaire chez nous.

Des milliers de Russes, eux aussi, sont morts pour la France, notamment en Champagne. C’est une grave faute de mépriser la Russie et de vouloir lui donner une leçon mais c’est une triste manie. La France, que la Russie aime et connaît bien, commet une erreur magistrale, y compris dans la lutte contre le terrorisme qui nous menace.

Breizh-info.com : Quels ouvrages conseilleriez vous à des profanes désireux de plonger dans les coulisses de l’histoire de l’Europe ? Quelles sont vous mêmes vos trois dernières lectures particulièrement marquantes ?

Jean des Cars :  Il y a tant de bons et précieux livres à lire ! Je citerai volontiers “les derniers jours des Rois” et le récent “les derniers jours des Reines” et “les mythes de la Seconde Guerre Mondiale”, ouvrages tous parus chez Perrin, un éditeur de qualité qui sait que le public apprécie les ouvrages bien écrits et bien documentés sans à-priori mais en tenant  compte de l’actualité.
J’y suis sensible car je suis aussi resté un journaliste qui, selon la formule d’ Albert Camus, sait que “le journaliste est l’historien de l’instant” et donc que l’historien doit être le rigoureux journaliste du passé.

Breizh-info.com : Comment analysez vous l’évolution du journalisme aujourd’hui, avec l’avènement des médias, notamment sur Internet. Quels sont pour vous les références, et les écueils à éviter ?

Jean des Cars : Le journalisme d’aujourd’hui est face au pire piège qui menace l’information: la rapidité sans réflexion, sans recul, sans culture et sans éléments de comparaison. La galaxie Internet est fascinante et sans doute, il faut faire avec. Mais de grâce, la précipitation est souvent catastrophique! Je ne cesse de recommander ce vieux principe: il faut, d’abord, VERIFIER! Même si cela prend du temps . ET surtout si cela prend du temps…

Propos recueillis par Yann Vallerie

Photo : DR
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