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« Flashpoints. The emerging crisis in Europe ». L’ouvrage de G. Friedman analysé par Jean-Claude Empereur

Face à la crise de souveraineté et d’identité qui affecte l’Union Européenne, il n’est pas inutile d’analyser le regard que portent certains géopolitologues  américains sur cette situation. On connaissait les positions, souvent critiques, de quelques-uns d’entre eux tels que Samuel Huntington ou Zbigniew Brzezinski. George Friedman va encore  plus loin   dans le pessimisme et surtout la méfiance à l’égard d’une construction dont il considère qu’elle est   devenue dangereuse pour l’équilibre du monde.

Spécialiste reconnu de la prospective, président de Stratfor, société qui se consacre à l’analyse géostratégique et à l’intelligence économique, souvent qualifiée de « CIA bis », George Friedman est proche des milieux dirigeants américains. Il peut être ainsi considéré comme très représentatif de la pensée géopolitique  dominante à Washington, qu’il s’agisse des cercles dirigeants « visibles » que de ceux du « deep-state » et du complexe  militaro industriel, qu’ils soient Républicains ou Démocrates.

Son dernier livre : « FLASHPOINTS. The emerging crisis in Europe » est non seulement une analyse plus que critique ,voire même brutale, de la situation sur le vieux continent, mais surtout une mise en garde des dangers potentiels que représente, pour le reste du monde et surtout pour les Etats-Unis, une Union européenne à la dérive.

Son point de vue  peut se résumer de la manière suivante :

  • L’Union européenne a échoué,
  • La « question allemande » est de retour,
  • L’Eurasie est un  cauchemar géopolitique pour les Etats-Unis.

L’effondrement du système européen.

D’emblée, et pour mieux mettre en évidence l’ambiguïté initiale du projet européen, George Friedman considère que l’on a trop tendance à oublier le rôle essentiel joué, dès l’origine, par les Etats-Unis dans une construction destinée essentiellement à contrer la menace soviétique.  Cette origine, assez éloignée du récit officiel, explique et justifie, selon lui, la parfaite et nécessaire consanguinité entre l’OTAN et l’UE, la seconde n’étant ni plus ni moins, dans cette perspective atlantiste, que la façade économique de l’autre.

Dès sa création, surtout depuis le traité de Maastricht et jusqu’en 2008 l’Europe était devenue une puissance industrielle mais surtout commerciale florissante, l’interdépendance économique des Etats et des entreprises garantissant apparemment paix et prospérité.

Soixante ans plus tard, George Friedman, constate, non sans une certaine « shadenfreude », que ce double objectif de paix et de prospérité n’a pas été atteint. La crise économique et financière ne cesse de s’étendre et la menace de conflits traditionnels ou identitaires plane tant à l’intérieur qu’aux frontières de l’Europe. C’est précisément la multiplication de ces zones de conflits : « flashpoints », en cours ou potentiels, qui, pour l’auteur, sont la marque, congénitale de l’Europe. Livrés à eux-mêmes, les Européens sont dans l’incapacité de s’entendre.  La construction européenne a pu faire un moment illusion mais le tragique de l’histoire a repris ses droits.

Les Européens ne changeront jamais .Dès que se profile une crise majeure leurs vieux penchants les reprennent. Aucun système institutionnel européen n’a réussi à enrayer ce mouvement, l’Union Européenne pas plus que les autres.

Incapable de  se contrôler  eux-mêmes, au risque de déchainer une nouvelle guerre mondiale, ils ne peuvent que se soumettre à une puissance extérieure.

« Les Européens ont su conquérir le monde mais se sont montrés incapables de se conquérir eux-mêmes »

Pour George Friedman le point tournant de l’histoire se situe  en 2008, année d’une double crise: d’abord militaire en Géorgie, économique ensuite  avec la chute de Lehman Brothers. Sur le moment le lien entre ces deux événements pivots  ne fut pas remarqué. Le premier d’entre eux montrait que les relations entre la Russie et l’Europe venaient de prendre brutalement un tour nouveau et que la guerre pouvait ressurgir à tout moment sur le continent, comme devait le montrer par la suite, le conflit en Ukraine. Le  second, quant à lui, en marquant le début d’une crise économique profonde, mettait en évidence la fragilité de l’Union Européenne, fragilité que les discours incantatoires  de ses dirigeants avaient réussi à masquer jusqu’alors.

Dès que les difficultés apparurent, devant la sidération et la paralysie  des institutions européennes, les Etats ont repris les commandes, divergences et antagonismes se sont donnés libre cours. Les institutions européennes ont révélé alors leurs faiblesses et le moteur franco-allemand a cessé de fonctionner correctement.

Le retour de la « Question allemande ».

La réconciliation franco-allemande, à condition d’être équilibrée et soigneusement contrôlée, a toujours été, pour les anglo-saxons, le principe fondateur de la construction européenne.

Aujourd’hui l’équilibre est rompu et le contrôle de plus en plus incertain. La réunification a rendu à l’Allemagne sa place centrale en Europe. Grâce à une politique économique tournée vers l’exportation, appuyée sur une monnaie unique qui n’est autre qu’un mark déguisé et une Banque Centrale Européenne copie conforme de la Bundesbank, la République Fédérale s’est imposée comme puissance économique dominante, dictant sans trop d’égards ni de scrupules, à son seul profit, ses orientations ordo-libérales et mercantilistes à l’ensemble de l’Union, sous prétexte de bonne gouvernance.

Pour le président de Stratfor le divorce entre l’Allemagne et la France est consommé de manière quasi irréversible. Les voies et les choix économiques et stratégiques divergent déjà, l’Allemagne se tournant vers l’Est et la France vers le Sud.

Mais notre auteur va beaucoup plus loin. Il pense que ce pivot oriental, conforme à l’histoire et aux tropismes  allemands, n’est qu’un début. Il est  l’expression d’une volonté de se débarrasser des contrôles, de l’état de soumission et de souveraineté limitée qui est imposé à l’Allemagne depuis la fin de la guerre. Dans cette perspective l’Allemagne constitue une menace, Personne ne peut prévoir, selon lui, dans quel chemin va s’engager ce pays, au cours des vingt prochaines années , s’il est livré à lui-même

La « Question allemande », formulation qui, dans l’histoire, a toujours exprimé vis-à-vis de nos voisins une interrogation anxieuse, serait-elle de retour ?

Mais pour George Friedman le pire est encore à venir si les Allemands, libérés de leurs liens étroits avec la France et par la même d’une Union Européenne en situation d’échec, se tournent, comme leur passé les y invite, vers la Russie.

L’obsession eurasienne : un cauchemar géopolitique.

On sait depuis Tocqueville que l’affrontement entre l’Amérique et la Russie fait partie des grands mythes de l’histoire.

Pour certains, le caractère inévitable de cet affrontement a été théorisé dès 1904 par Hartford Mackinder dans sa conférence à la Royal Geographical Society de Londres. Cette conférence reprise ultérieurement dans un simple article de douze pages résume encore aujourd’hui les orientations de la politique américaine en mettant en évidence l’opposition absolue entre une Amérique appuyée sur la maîtrise intégrale des océans et une Russie retranchée dans « l’ile du monde » cœur du système continental eurasiatique et « pivot géographique de l’histoire ».

Pour Friedman le rapprochement de la nouvelle Allemagne et de la Russie éternelle  en rendant inévitable la constitution d’un ensemble continental gigantesque peuplé de plus de sept cent millions d’habitants, aux immenses ressources naturelles, à la profondeur stratégique inégalée, en continuité et en contiguïté avec  la Chine ,l’Inde et le monde musulman est inacceptable.

Ce rapprochement, s’il devait se confirmer dans les vingt ans à venir, constituerait pour les Etats-Unis, un véritable cauchemar géopolitique en même temps qu’une menace majeure, mettant en cause une hégémonie considérée comme non négociable.

Dans ces conditions, tout, absolument tout, doit être mis en œuvre pour en empêcher la réalisation.

C’est ainsi que l’intégration de l’Ukraine à l’Union Européenne, en réalité à l’OTAN, constitue un enjeu majeur et prend tout son sens. Dans cette logique, le conflit doit être mené jusqu’à son terme afin de positionner les armées de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie et ceci «  pour des décennies »…

Bien au-delà du simple endiguement de la guerre froide « containment », c’est d’une stratégie de refoulement pur et simple « roll back » dont il s’agit. Cette stratégie, fait ainsi entrer subrepticement les Etats-Unis dans l’ « étranger proche » de la Russie, en plaçant de facto cette zone périphérique, à laquelle elle est très attachée, pour sa sécurité, sous contrôle américain. L’étape suivante est d’utiliser, dans la ligne de ce que préconise Zbigniew Brzezinski dans le « Grand échiquier », l’Ukraine comme bélier géostratégique pour disloquer ensuite la Fédération de Russie.

Au cours d’une conférence donnée au Chicago Council for Global Affairs, George Friedman, à l’occasion de la sortie de son livre, n’a pas hésité à envisager le retour de la guerre froide voire même la possibilité d’un conflit préventif avec la Russie.  « si  l’on veut éviter qu’une flotte constitue une menace il faut empêcher sa construction avant qu’il ne soit trop tard ».Précise-t-il.

Nous voilà dûment avertis…

Europe/Etats-Unis, des malentendus aux divergences transatlantiques.

On est loin de la vision kissingérienne du réalisme diplomatique et de l’équilibre des puissances. Conscient des risques insensés que fait courir au monde cette politique agressive et invasive, l’ancien secrétaire d’Etat Henry Kissinger a déclaré, dans une interview accordée au New York Times au début de l’année 2015 à propos du conflit en Ukraine : « Je pense qu’une reprise de la guerre froide serait une tragédie historique ».

Jean-Claude Empereur

Cet article, publié initialement dans l’excellente  Revue politique et parlementaire, est repris par Breizh-info avec l’autorisation de l’auteur t de la revue

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2 réponses à “« Flashpoints. The emerging crisis in Europe ». L’ouvrage de G. Friedman analysé par Jean-Claude Empereur”

  1. Pschitt dit :

    On peut hélas se demander si Vladimir Poutine ne partage pas exactement l’avis de Friedman. Ancien du KGB, il ne fait rien pour désamorcer ce “désir de guerre froide”, bien au contraire. Et cela n’est pas surprenant puisqu’il a fait carrière naguère grâce à la guerre froide, elle fait partie de ses schémas mentaux. L’important pour lui n’est probablement pas la forme du régime politique mais la puissance de l’Etat. C’est vrai en interne (élimination d’opposants), à la marge (guerre en Ukraine, reconquête militaire de la Crimée) et à l’extérieur (manipulation d’idiots utiles — et au fait, qui sont-ils maintenant que le lien consanguin avec les partis communistes et leurs alliés est rompu ? Oh ! il ne devrait pas être trop difficile de découvrir qui, aujourd’hui en Europe, bénéficie d’une aide du régime russe.)

  2. Fred dit :

    Les rêves, analyses et enfumages de ce sinistre individu, G. Friedman, sont nos pires cauchemars. D’autant plus qu’il a les moyens médiatiques (presse aux ordres), politiques (l’UE est un projet US pour maintenir les peuple européens sous contrôle) et militaires (l’armée US c’est 50% des budgets militaires mondiaux) pour imposer sa vision des événements, en particulier si cette vision est en décalage avec le réel : car il n’y a aujourd’hui quasiment pas la moindre opposition violente entre les pays en Europe, par contre il y a un problème de submersion migratoire arabo-maghrebo-africaine organisée ou favorisée par l’UE et les US pour détruire les particularités européennes et nous métisser de force conformément au projet mondialiste cosmopolite.

    Concernant l’Ukraine je considère que Poutine a mal géré l’affaire, trop facilement piégé il aurait du prendre les devants et négocier avec les nationalistes. Je soutiens totalement les Ukrainiens (en particulier secteur droit, Azov, etc) qui veulent se libérer de la main mise russe héritée de l’époque soviétique. Je trouve d’ailleurs particulièrement curieux de voir tout une partie de la droite française se jeter aux pieds de Poutine, alors que celui-ci ne fait que maintenir les frontières héritées de l’époque soviétique avec un état profond (militaire, administration, etc) totalement issu de l’époque communiste, lui-même est un pur produit du KGB, tout cela est assez cocasse à observer, probablement des histoires de gros sous en arrière plan.
    De plus je me sens plus proche d’un américain blanc que d’un kazakh ou d’un ouzbek, n’en déplaise au très russe G.Depardieu, et je rappelle que la plus grande mosquée d’Europe a été construite récemment à Moscou par Poutine, sans parler des synagogues, alors même que les empereurs russes avaient toujours veillé à garder la Sainte Russie dans son unité religieuse sans souillure allogène…

    Bref vive la France libre, avec des relations équilibrées vis à vis des différentes puissances, qu’elles soient US (D.Trump a un discours plutôt rafraichissant, surtout comparé à l’infâme H.Clinton raciste antiblanc) ou Russe (je soutiens Poutine/Lavrov dans le cas Syrien contre Daech/Qatar/A.Saoudite/Turquie).

    Note1/rappel : le discours d’Attali c’est : soit tout le monde accepte une gouvernance mondiale avec pour capitale Jérusalem et les peuples seront esclaves de la dette et de la société de surconsommation, soit c’est la guerre…

    Note2 : le projet Eurasie quasiment jusqu’en Chine n’est qu’une autre version des projets mondialistes Eurafrique, ou Eurabia, ou Euratlantique qui ne visent qu’à dissoudre les pays et peuples européens dans divers ensemble pour des raisons idéologiques (Kalergi, etc) ou économiques (Argent roi). La Russie doit faire un choix, c’est soit l’Europe, soit l’Asie, hors comme elle veut les deux, elle ne fait donc pas partie de l’Europe des nations et peuples.

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