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Métapolitique ? A propos d’ « A demain Gramsci », de Gaël Brustier

Gaël Brustier est un intellectuel qui revendique son appartenance à la gauche bien qu’étant très critique à l’égard du Parti socialiste auquel il reproche de ne plus rien comprendre à ce qui se passe dans les profondeurs de la France ; il a publié récemment A demain Gramsci, un petit livre consacré à la métapolitique et à l’hégémonie culturelle de la gauche. Gaël Brustier plaide pour une offensive culturelle (métapolitique) de cette dernière sans laquelle elle ne pourra, selon lui, que continuer de s’effriter.

La fin d’une hégémonie culturelle ?

Lors du dernier congrès du Parti socialiste, il a été dit que «la gauche n’est plus en situation d’hégémonie culturelle », un point de vue que partage l’auteur et qui devient, de plus en plus clairement, une évidence. Une évidence qui est doublée d’un paradoxe puisque il est non moins évident que, s’il est exact que l’influence de la dite gauche (une gauche « re »devenue libérale) ne cesse de diminuer, il n’en est pas moins vrai que son pouvoir culturel n’a jamais été aussi important ; tous les médias, ou presque, une très grande majorité du corps enseignant et des intellectuels tiennent le même discours individualiste/mondialiste et ressassent les idées issues du corpus idéologique soixante-huitard, ce qui constitue une anomalie considérable dans un pays dont on dit qu’il est doté d’institutions républicaines.

La classe politico-intello-médiatique (qui est essentiellement libérale/libertaire) se plaint de l’irruption de quelques personnalités hétérodoxes dans un paysage médiatique qu’elle domine sans partage depuis des décennies et auxquelles elle attribue  les bouleversements en cours au sein de l’opinion publique. En fait, comme le dit très humblement Eric Zemmour, s’il est vrai que de très nombreux Français sont heureux de l’entendre dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas, depuis longtemps déjà, il n’en est pas moins vrai qu’il n’est pas à l’origine de l’évolution de l’opinion publique française. Zemmour nous explique en disant cela que ce ne sont pas quelques intellectuels hétérodoxes qui ont pris le pouvoir culturel mais que les Français, dans leur grande majorité, se sont faits une opinion par eux-mêmes, en toute autonomie. En ce sens, il est vrai que le pouvoir culturel quasi monopolistique de la gauche libérale / libertaire ne lui permet plus d’exercer une hégémonie culturelle sur l’ensemble du peuple français.

Selon les études d’opinions, ce sont les classes sociales dominées qui ont une réelle capacité de se forger une opinion indépendamment des modes intellectuelles ayant cours dans l’intelligentsia, en s’appuyant sur leurs observations d’une part et sur certains éléments de leur culture propre d’autre part. Ce constat nous invite à penser que la détention du pouvoir culturel n’implique pas automatiquement celle de l’hégémonie culturelle. Encore faut-il que le contenu de la culture dominante entre en résonance avec l’idée que les citoyens se font des choses et avec leurs besoins. Et c’est là que çà coince pour la gauche parce que son discours n’est en phase ni avec ce que beaucoup de Français ont observé au cours des dernières décennies ni avec des valeurs, un temps enfouies, qui reviennent au premier plan à la faveur de la crise généralisée que nous connaissons.

L’enseignement de Gramsci

Ce que nous disent les études d’opinion, c’est que ce sont les moins diplômés, qui sont les plus nombreux et les moins exposés au discours de l’intelligentsia, qui se sont libérés le plus aisément de l’hégémonie culturelle de la gauche et que, donc, le contact avec le monde enseignant, qui est un élément essentiel du pouvoir culturel, a une grande importance dans la formation de l’opinion. Il n’est pas étonnant que ce soit au sein des couches sociales les moins diplômées que le bouleversement est important parce que nos compatriotes les moins diplômés ont été moins imprégnés de la culture de l’intelligentsia et ont donc continué à véhiculer des valeurs et des opinions que les plus diplômés ont abandonné (au cours de leurs études, très souvent) au profit de celles du corps enseignant. Le système éducatif (relayé par les médias lus ou écoutés par les étudiants et les diplômés de l’enseignement supérieur) a donc une profonde influence sur cette catégorie de la population qui est certes minoritaire mais qui assure la reproduction de la classe dirigeante, du monde enseignant et de la caste médiatique, ce qui n’est pas rien. C’est là que l’influence des entrepreneurs en métapolitique est surtout importante, ce qui n’a pas échappé à une gauche qui a lu Gramsci (un des fondateurs du Parti communiste italien qui, lors de son séjour en prison au cours des années 1930, mena une réflexion sur l’échec de la tentative de prise du pouvoir politique au début du siècle dernier qu’il attribua au fait que le pouvoir culturel était détenu par la bourgeoisie, laquelle, de ce fait, parvenait à rendre le discours du PCI inaudible. Il en conclut que la victoire des communistes passait par l’instauration d’une nouvelle hégémonie culturelle).

Mais, qu’est-ce que la métapolitique ? C’est l’ensemble des actions visant, d’une part, à promouvoir certaines idées, opinions et valeurs et, d’autre part, à dénoncer certaines idées considérées comme fausses. Le terrain de la métapolitique n’est pas celui de la politique politicienne et électorale ; elle s’exerce principalement via les médias de toutes sortes, le système éducatif, la littérature (philosophique mais pas uniquement) et le cinéma mais aussi par le truchement d’associations culturelles ou de formation, l’organisation de spectacles et de manifestations à caractère culturel…..Tout ce qui permet de véhiculer et de diffuser des idées, des valeurs et des opinions peut devenir un instrument métapolitique.

Le combat métapolitique vise à créer une hégémonie culturelle susceptible d’avoir des conséquences politiques durables. Ce type de combat, les droites ne l’ont que très peu pratiqué ; c’est sans aucun doute ce qui explique qu’elles se soient si souvent fourvoyées (par manque de réflexion) et qu’elles aient fini par adopter le logiciel culturel de leurs adversaires (par exemple, les conservateurs gaullistes sont devenus des libéraux libertaires très proches de leurs concurrents ; ce dont leurs électeurs commencent à se rendre compte). La paresse intellectuelle est une marque de fabrique des droites ; c’est un défaut qui a permis aux intellectuels de gauche d’instaurer une hégémonie culturelle qui est installée depuis cinq décennies, au moins.

Gaël Brustier.

Gaël Brustier. Il plaide pour une offensive culturelle (métapolitique) de la gauche sans laquelle celle-ci ne pourra, selon lui, que continuer de s’effriter.

Pour se libérer de cette hégémonie (Brustier parle d’une « domination culturelle », dont il regrette l’affaiblissement ; cette idée d’une domination culturelle, comme celle de toute domination d’ailleurs, est insupportable d’un point de vue authentiquement républicain. Dans une république digne de ce nom, la liberté de penser et de s’exprimer, laquelle implique un égal accès aux médias et une représentation équilibrée des différentes sensibilités philosophiques, est une donnée de base que notre prétendue république foule aux pieds sans états d’âme), il est absolument indispensable de créer un contrepouvoir culturel puissant n’ayant pas pour objectif d’imposer une quelconque domination mais de permettre une critique sans concession de l’idéologie des libéraux/libertaires (la fracture idéologique essentielle en ce début de XXIème siècle se situe entre libéralisme libertaire et patriotisme conservateur) et de rendre leur lustre aux valeurs conservatrices (diversité des peuples et des cultures ; enracinement ; patriotisme ; indépendance nationale ; sens de l’honneur….).

Il ne peut pas y avoir de succès durable au plan politique sans action métapolitique/culturelle. L’affaiblissement actuel de l’influence de la gauche est lié au fait que les solutions qu’elle propose depuis 35 ans (ouverture des frontières, immigration incontrôlée, libre-échangisme mondialiste…) heurtent profondément une grande majorité des Français qui constatent chaque jour que ces solutions dégradent leurs conditions de vie et qui de ce fait se tournent progressivement vers d’autres horizons. Mais, cette conjoncture favorable ne doit pas nous faire perdre de vue le fait que les couches dirigeantes (politiques et économiques) et les milieux liés à la culture sont très profondément imprégnés par l’idéologie libérale/libertaire et que l’oligarchie réussit, grâce à son appareil de sidération médiatique, à manipuler les comportements électoraux des classes sociales les plus intellectualisées ; il nous appartient d’offrir aux jeunes en général et aux jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, dont une partie intégrera les classes dirigeante et médiatique, en particulier, une véritable alternative culturelle. Le combat politique n’est pas qu’un combat électoral, c’est aussi un travail de réflexion (analyse des faits et des idées), un travail d’information (ou plutôt de ré-information compte tenu du fait qu’aujourd’hui les journalistes sont pour l’essentiel des militants libéraux/libertaires qui ne diffusent que leur seul point de vue) et un travail de formation intellectuelle. La transformation durable du paysage politique passe nécessairement par le démantèlement de l’hégémonie culturelle libérale / libertaire et par l’émergence d’une nouvelle hégémonie culturelle qui pourrait être celle que privilégie Gaël Brustier mais qui pourrait être d’une autre nature, néo-républicaniste, solidariste et patriotique par exemple. Ce dernier projet métapolitique serait susceptible de s’accorder aux attentes et à l’état d’esprit de très nombreux Français.

Brustier pense qu’une métapolitique intelligente pourrait permettre à la gauche radicale française de renouer avec le succès comme c’est le cas de « Podemos », en Espagne, lequel « Podemos » s’inspire très clairement de la théorie de Gramsci et du philosophe argentin Ernesto Laclau qui fut un péroniste en plus d’avoir été un lecteur attentif des œuvres de Marx et de celles de Gramsci. On peut penser en effet qu’une telle métapolitique qui concilierait solidarisme et dénonciation des travers du capitalisme libéral tout en acceptant le fait national et en affirmant le principe de la souveraineté populaire serait susceptible de faire mouche, comme c’est le cas en Espagne. A ceci près qu’en France, le Front national s’est saisi du solidarisme qu’il a ajouté à son thème emblématique qu’est le refus de l’immigration. Aussi longtemps que le FN restera sur sa ligne antilibérale actuelle, il est fort probable que le populisme de gauche, que « Podemos » a su promouvoir en Espagne, ne pourra pas se développer en France. A contrario, si le FN abandonnait cette ligne pour en revenir à la ligne qui fut celle de Jean-Marie Le Pen, il est certain qu’il perdrait une partie de ses électeurs récents (par exemple les fonctionnaires, dont 24% ont voté pour le FN lors des dernières élections régionales) qui pourraient se tourner vers un mouvement populiste d’extrême – gauche.

B.Guillard

Gaël Brustier – A demain Gramsci – Editions du Cerf

Crédit photos : DR
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Une réponse à “Métapolitique ? A propos d’ « A demain Gramsci », de Gaël Brustier”

  1. roger Honoré dit :

    @RobertSteuckers perso. je ne considère pas G comme marxiste!

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