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Proche et Moyen-Orient. La France encore dans la course ?

Le général (2S) Dominique Delawarde, ancien chef « Situation-Renseignement-Guerre électronique» à l’État-major interarmées de planification opérationnelle, a participé, en qualité d’orateur invité,  à  la Conférence internationale sur les questions de défense et de sécurité en Asie de l’Ouest (Moyen et Proche-Orient) qui s’est tenue à Téhéran le 7 janvier 2019. Il nous livre ici son témoignage.

La Conférence s’est déroulée le 7 janvier 2019 à Téhéran. Voilà ce qui m’a frappé sur la forme et sur le fond.

1 — Sur la forme

L’organisation des débats et les participations étrangères méritent une attention particulière.

Les débats se sont déroulés dans les locaux spacieux et sécurisés du ministère iranien de la Défense.

L’analyse des participations étrangères (présences et surtout absences) me paraît très éloquente : 34 pays représentant tout de même plus de 60 % de la population mondiale avaient de un à six représentants officiels militaires et/ou diplomates (si l’on excepte l’Iran, pays organisateur, la délégation russe était la plus nombreuse).

Parmi les grands pays, citons tous les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et les 8 pays membres à part entière de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). (Russie, Inde et Chine, bien sûr, auxquels il faut ajouter le Pakistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan). La seule présence surprenante pour moi a été celle du Brésil de Bolsonaro, nouvel ami d’Israël et des États Unis, qui, en toute logique, aurait dû boycotter une réunion organisée par le plus mortel ennemi de ses nouveaux amis. Sans doute l’invitation avait-elle été acceptée avant l’intronisation de Bolsonaro ?

A ces pays, il faut ajouter deux pays importants : L’Iran, membre observateur de l’OCS, pays organisateur, et la Turquie partenaire de discussion de l’OCS.

Chacun ayant sa calculette observera que les 12 pays cités ci-dessus représentent, à eux seuls, près de la moitié de la population de l’humanité…

Outre ces 12 pays figuraient les 4 principales victimes du chaos généré par les USA dans cette région à partir de 2003  avec leur guerre visant à réaliser un changement de régime en Irak au prétexte mensonger des armes de destruction massives. Il y avait donc tout naturellement des représentants de l’Irak,  pays à majorité chiite, de la Syrie, pays multiconfessionnel à majorité sunnite (à 70 %), du Yémen (tendance Ansarrallah), minorité chiite (45 %) et de l’Afghanistan, sunnite à 80 %.

Il y avait également des États que l’on peut considérer comme solidaires de l’Iran parce que victimes, comme l’Iran, des sanctions US : Le Venezuela et la Corée du Nord par exemple ou pour tout autre raison : l’Algérie (pays musulman, proche de la Russie, de 42 millions d’habitants majoritairement sunnites), et l’Indonésie (pays de 265 millions d’habitants majoritairement sunnites).

Il y avait enfin 4 pays de la coalition occidentale qui ne font pas semblant, eux, de soutenir l’accord sur le nucléaire iranien et qui marquaient, par leur présence, leur réelle volonté de construire la paix aux Proche et Moyen-Orient et de continuer à faire des affaires avec l’Iran : Le Japon, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. Ces quatre États prennent évidemment aujourd’hui, avec les pays BRICS et l’OCS, les places laissées vacantes par les entreprises des pays les plus soumis à l’influence des lobbies pro-israéliens (USA, UK et FR).

A ces 24 états s’ajoutaient une dizaine d’États n’appartenant pas à l’UE dont je n’ai pas identifié les drapeaux.

Les absences officielles les plus marquantes, pour ne pas dire les plus choquantes, mais tout à fait prévisibles pour la raison indiquée ci-dessus, étaient donc celles des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni. Peut-être craignaient-ils, pour les deux derniers, de se retrouver aux bancs des accusés pour leurs frappes conjointes et illégitimes d’avril 2018.

Nous étions, mon ami Alain Corvez et moi, invités en tant qu’experts de la région et nous ne parlions évidemment pas au nom de notre pays.

Rien de surprenant à l’absence des USA qui se sont retirés de l’accord sur le nucléaire.

Mais quid de la France qui prétend soutenir l’accord sur le nucléaire iranien et qui « en même temps » ne trouve personne dans son ambassade de Téhéran, pour la représenter officiellement dans une conférence internationale sur les questions de Défense et de Sécurité au Proche et au Moyen-Orient, conférence qui réunit les représentants de 60 % de la population de l’humanité ? Il est vrai que la France n’a plus d’ambassadeur en Iran depuis le départ de François Sémenaud le 27 juin 2018.  A ma connaissance, cet ambassadeur n’a pas encore été remplacé. Décidément l’élite qui nous gouverne et qui continue de se soumettre aux USA et aux lobbies pro-israéliens ne comprend pas bien ce qu’est la cohérence en matière de politique étrangère.  La France dit « soutenir » l’accord et « en même temps » elle cède aux pressions des USA et des lobbies pro-Israéliens sur à peu près tout, y compris en retardant la nomination d’un ambassadeur, en rechignant sur la nomination d’un attaché de défense et en brillant par son absence dans une simple conférence sur la Sécurité en Asie de l’Ouest où elle aurait pu envoyer ne serait-ce qu’un simple conseiller ou chargé d’affaires de son ambassade.

Il faut savoir ce que la France veut : peser ou non de manière indépendante dans les affaires de l’Asie de l’Ouest. Si oui, il faut évidemment avoir une ambassade dans cette grande puissance régionale qui constitue un acteur clef dans la lutte contre le terrorisme et le maintien, ou non, de la stabilité dans la région.

L’influence désastreuse de la « secte » est donc plus que jamais d’actualité au ministère des Affaires étrangères français. Cette « secte » d’obédience néoconservatrice et pro-israélienne a été identifiée par le journaliste d’investigation du journal Libération Vincent Jauvert et a été dénoncée  en avril 2016 dans un livre  intitulé La face cachée du Quai d’Orsay : enquête sur un ministère à la dérive. C’est elle qui est responsable de cette absence des représentants français en Iran. Cette absence profite évidemment à l’État hébreu puisque la France n’a plus de grand témoin susceptible de faire évoluer la position française, et susceptible de favoriser d’éventuelles négociations directes entre l’Iran et la France.

2 — Sur le fond

La conférence était intéressante tant dans les interventions officielles que dans les conversations entre les membres des délégations en marge des débats. J’ai eu la chance de pouvoir échanger longuement (près d’une heure) avec le chef de la délégation russe (Sergey ORDZHONIKIDZE, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire qui m’a offert l’original du texte de son intervention [en anglais]. J’ai pu aussi échanger plus brièvement avec le vice-ministre de la Défense syrien, représentant son pays à la conférence.

Je retire de tout cela les conclusions suivantes :

1ère conclusion :

Aucune mésentente entre sunnites et chiites n’a été perçue parmi les pays musulmans représentés (Afghanistan, Algérie, Indonésie, Pakistan, Turquie, pays d’Asie centrale, Syrie majoritairement sunnite ont fait bon ménage avec l’Iran, l’Irak, le Yémen-Ansarullah majoritairement chiites.

Sunnites et chiites se sont entendus sur deux points lors de la conférence :

1 — il faut lutter ensemble contre l’extrémisme islamiste en Asie de l’Ouest, mais sans les sempiternelles ingérences étrangères qui ne font qu’empirer les choses.

2 — Les ingérences US et occidentales en Asie de l’Ouest et les dégâts collatéraux des bombardements qui tuent souvent des innocents, femmes et enfants sont à l’origine de la montée de l’islamisme intégriste par la haine qu’ils suscitent contre les USA.

L’intervention du représentant afghan a été particulièrement claire à cet égard. Il est vrai que la multiplication par huit du nombre de bombes larguées sur l’Afghanistan par les forces aériennes US entre 2015 et 2018 dans le cadre des opérations Freedom Sentinel et Resolute Support n’arrange manifestement pas les choses  (voir les statistiques officielles US pour 2017).  De 947 bombes larguées sur l’Afghanistan en 2015, le total devrait dépasser les 7000 en 2018 ! (On ne connaît pas encore les chiffres des 2 derniers mois de l’année 2018).

Peut-être faut-il se rendre à l’évidence. Après 17 ans d’ingérence, d’actions au sol et de bombardements, les USA ne parviennent pas à solutionner le problème de l’islamisme intégriste en Afghanistan au point qu’ils en sont réduits à bombarder toujours plus, et, par conséquent, à multiplier les bavures et les dégâts collatéraux. La montée en puissance de l’islamisme intégriste a encore de beaux jours devant elle…

2e conclusion :

L’ingérence des USA dans les pays de la région est clairement perçue d’abord comme l’expression d’un soutien inconditionnel à l’état hébreu, mais aussi comme la volonté de contrôler, au profit des USA, des zones riches en ressources naturelles. Cette ingérence, créatrice de chaos, de haine, de mort et de sang a été évidemment dénoncée par les intervenants des pays qui en sont les premières victimes (Irak, Syrie, Yémen, Afghanistan).

3e conclusion :

En marge de la conférence, mes discussions avec le chef de la délégation russe m’ont convaincu  que les Russes connaissent parfaitement les responsables qui agissent en coulisse et qui suscitent la russophobie ambiante dans quelques pays occidentaux (USA, UK et France). Ils connaissent les lobbies tenant le haut du pavé dans ces trois pays (et dans quelques autres : Canada, Australie, Brésil de Bolsonaro). Ils connaissent les lobbies qui contrôlent aujourd’hui les médias mainstream et la politique étrangère dans ces pays. Ils connaissent l’action de manipulation des opinions publiques via des outils de type Cambridge Analytica, créés et contrôlés par des membres éminents de ces  mêmes lobbies.  Ils connaissent l’importance du rôle de ces outils anglo-saxons pour promouvoir ou détruire des candidats dans les grandes élections de 2016, 2017 et 2018. Ils connaissent le chef d’État qui anime et influence, en coulisse, ces réseaux d’influence très puissants. Ils confortent les attendus et conclusions de mon article de février 2017.

Ceci explique peut-être la tension croissante qui se développe dans les relations entre la Russie et l’État hébreu, nettement perceptible aujourd’hui à la lecture quotidienne de la presse israélienne et de la presse russe.

4e conclusion :

Si la responsabilité du chaos dans la région a été très majoritairement imputée au duo USA-UK, la France n’a guère été évoquée dans le débat. En clair, absente à la conférence, elle était aussi quasiment ignorée dans les interventions. Elle semble simplement être sortie du cercle des acteurs majeurs aux yeux des États de la région présents à la conférence.

A ceux qui rêvent encore d’un retour de l’influence de la France en Syrie, je réponds : c’est bel et bien fini et pour longtemps, très longtemps. La France n’aura que les miettes et le rôle que voudra bien lui accorder la Russie si, et seulement si, elle donne quelques gages d’indépendance vis-à-vis des USA. La France apparaît aujourd’hui comme un pays affaibli, diplomatiquement, économiquement, militairement, socialement : bref, un pays dépendant, vassal soumis des USA, un pays qui ne compte plus vraiment par lui-même. La France bénéficiera peut-être de l’indulgence et de l’intelligence de Poutine qui reste encore plutôt francophile et aspire toujours à développer des relations amicales et d’intérêt commun avec l’UE.

5e conclusion :

L’affaire des Gilets jaunes (Yellow Vest, Yellow Jackets)  a été évoquée en marge de la conférence. Les images tournent en boucle sur les télévisions iraniennes. Cela ne grandit pas l’image de la France et de l’Occident tout entier. La gouvernance française qui s’est souvent posée en modèle et en donneur de leçon est décrédibilisée. La gouvernance iranienne a beau jeu de dénoncer le « merveilleux modèle démocratique occidental » qui génère des révoltes populaires. Cela conforte évidemment les tenants du  régime en montrant à la fraction du peuple iranien qui fantasme sur le modèle occidental que celui-ci n’est pas aussi idyllique qu’elle ne se l’imagine.

Certains ne sont pas fâchés, en regardant ces images, de prendre leur revanche sur les « révolutions colorées » et  autres « printemps arabes » souvent suscités et/ou soutenus de l’étranger.

L’« automne-hiver français » et la contagion qui affectent d’autres pays de l’Ouest, les Gilets jaunes, les stylos et les foulards rouges, l’action des forces de l’ordre avec utilisation massive de gaz (tiens donc !),  tout cela divertit beaucoup les téléspectateurs en Asie de l’Ouest et rend de plus en plus inexportable notre modèle social et surtout notre système représentatif et de gouvernance qui semble bien à bout de souffle.

C’est volontairement que je ne conclurai pas. Chacun des lecteurs, arrivé à ce stade de mon exposé est capable de réfléchir et de conclure par lui-même. Je constaterai simplement que les équilibres économique, géopolitique et démographique du monde sont en cours de bascule. Peut-être est-il grand temps de revoir, en profondeur, notre politique étrangère, et de retrouver notre indépendance, si la France ne veut pas s’assurer, demain, une place de choix dans le camp des perdants.

Dominique Delawarde

Précision : les points de vue exposés n’engagent que l’auteur de ce texte et nullement notre rédaction. Média alternatif, Breizh-info.com est avant tout attaché à la liberté d’expression. Ce qui implique tout naturellement que des opinions diverses, voire opposées, puissent y trouver leur place.

Crédit photos : DR
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